Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/241

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lumière se fait en nous, la source jaillit ! Nous ne comprenions pas, nous comprenons ; nous n’aimions pas, nous aimons ; nous avons trouvé notre chemin de Damas.

Tels furent pour moi, deux grands artistes qui m’ont soufflé au cœur la sainte ferveur musicale : Maria Malibran et Berlioz. L’intime amitié qui m’a lié à tous les deux, me permettra d’ajouter quelques traits précis et nouveaux à ces deux figures, dont l’une n’est déjà plus qu’un souvenir, et dont l’autre commence à entrer dans la légende.

Mon goût pour la musique ne se produisit qu’assez tard, étouffé par une singulière superstition de famille. La mémoire de mon père, le nom de mon père était pour moi, comme je l’ai dit, l’objet d’un culte facile à comprendre ; je n’avais pas de plus grande ambition que de lui ressembler, et mes parents entretenaient soigneusement en moi ce pieux désir. Or mon père n’aimait pas la musique et avait la voix fausse ; aussi, quand au collège je parlai de prendre des leçons de solfège :

« C’est inutile, me répondait-on, ton père avait la voix fausse ! »

Je rengainai immédiatement mon vœu. Je ne me croyais pas permis d’aimer ce que mon père n’aimait pas. Deux ans plus tard, j’avais seize ans alors, on me conduisit à l’Opéra-Comique, où l’on représentait le Prisonnier de Della Maria : je fus touché de la grâce simple de certains accents, et je me hasardai à dire timidement :