Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/266

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subitement ; le rire disparut et fit place à une expression étrange et sérieuse ; elle fit un pas vers les dix marches de marbre, les monta lentement, ses cheveux toujours sur ses épaules, et, arrivée sur la plate-forme, d’où elle nous dominait tous, elle se tourna vers le ciel et entonna l’hymne à Diane, de Norma, « Casta diva ! » Était-ce la surprise, la singularité de cette mise en scène, le plaisir d’entendre dans un tel lieu cette voix silencieuse depuis quelque temps ? Elle-même, fut-elle émue par son apparition sur cette sorte de piédestal ? Nul ne peut le dire, mais ses accents, en se prolongeant sous la voûte des arbres, en se mêlant au bruit de l’eau, au souffle de l’air, à toutes les splendeurs de ce jardin, avaient je ne sais quoi de grandiose, qui nous saisit au cœur ; les larmes nous coulaient à tous des yeux. Aperçue ainsi, au-dessus de nous, dans cet encadrement de ciel et de feuillage, elle nous faisait l’effet d’un être surnaturel ; quand elle redescendit, son visage gardait encore une expression de gravité sérieuse, et nos premières paroles d’enthousiasme furent comme empreintes d’un respect religieux


VIII

Une telle scène, si propre à peindre cette étrange nature semble devoir être unique dans la vie d’un