Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/283

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plus frémissante ! Garcia paraît, puis la Malibran, puis Lablache qui représentait le père. Fut-ce la présence de sa fille ? Je ne sais, mais le vieux lion retrouva tous les sublimes rugissements de sa puissante voix ! Elle-même, électrisée, bouleversée par ce rapprochement si plein de pathétiques amertumes, rencontra au premier acte, dans le délicieux duo avec la nourrice, dans le finale, des accents d’une mélancolie désespérée, qui étaient comme un écho anticipé de la romance du Saule, et, ce premier acte achevé, le rideau tomba au milieu d’un véritable délire d’applaudissements. Je dis le rideau tomba… n’allons pas si vite. Dans le finale, Othello était placé à la droite du spectateur, tout près de la coulisse, et Desdemona, du côté gauche, à la même place. Or, pendant que le rideau tombait, quand il ne fut plus qu’à une très petite distance du plancher, je vis les pieds de Desdemona se tourner vivement et courir vers les pieds d’Othello. Un rappel formidable éclate, le rideau se relève, ils paraissent ensemble, seulement ils étaient presque aussi noirs l’un que l’autre. En se jetant dans les bras de son père, Desdemona s’était marbré le visage de la couleur d’Othello, sa figure à lui avait déteint sur elle ! C’était comique ! eh bien, personne n’eut la pensée de rire. Le public, à demi instruit, comprit ce que ce spectacle avait de touchant, ne vit pas ce qu’il avait de grotesque, et applaudit avec transport ce père et cette fille réconciliés par leur art, par leur talent, par leur triomphe ; ils s’étaient embrassés en Rossini !