Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/286

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II

On dit souvent d’un artiste qu’il est aimé du public ; ce mot banal était rigoureusement vrai appliqué à Lablache. A son premier son, un tel courant de sympathie s’établissait entre lui et ses auditeurs, qu’il n’y en avait pas un seul qui ne l’aimât. La voix de Lablache résonne encore dans l’oreille de ceux qui l’ont entendue. La figure de Lablache resplendit encore dans l’imagination de tous ceux qui l’ont vue. Cette voix colossale avait de telles douceurs, ce visage de colosse avait un tel aspect de bonté, qu’il semblait deux fois olympien, tout à la fois Jupiter tonnant et Jupiter souriant. Touchant et terrible dans les passages pathétiques, il avait en outre une telle puissance de rythme, qu’il semblait soutenir à lui seul tous les morceaux d’ensemble, il en était l’architecture vivante. Enfin Lablache a emporté avec lui ce fruit charmant et tout à fait personnel du génie italien : la musique bouffe. Cimarosa est mort avec Lablache ! La Cenerentola, l’Italienne à Alger, le Barbier même, sont morts avec Lablache. Personne n’a su rire en musique depuis Lablache. On trouvera peut-être encore des bouffons, on ne trouvera plus de bouffes. Cette gaieté saine et partant du cœur, ce goût jusque dans la farce, cette grâce jusque dans la charge, cette beauté de son mêlée à tout ce pétillement d’esprit, nous