Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/305

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Puis avec un éclat de rire sardonique, et en reproduisant toutes les roulades du texte :

 
Je m’en fiche pas mal !
Je m’en fiche pas mal !
Je m’en fiche pas mal !


Voilà les deux Berlioz, l’enthousiaste et le moqueur. En voici un troisième, où se montrera le trait le plus caractéristique peut-être de cette figure singulière ; je parle du rôle immense et étrange que l’amour a joué dans sa vie.


V

On se rappelle la page admirable qu’il a consacrée à sa première passion (il avait alors douze ans) pour une jeune fille de dix-huit, nommée Estelle :

« Elle avait une taille élégante et élevée, de grands yeux noirs armés en guerre, bien que toujours souriants, et une chevelure digne d’orner le casque d’Achille ? En l’apercevant, je sentis une secousse électrique, je l’aimais, c’est tout dire, Le vertige me prit et ne me quitta plus. Je n’espérais rien, je ne savais rien, mais j’éprouvais au cœur une douleur profonde. Je me cachais le jour dans les champs de maïs, dans les réduits secrets du verger de mon grand-père, comme un oiseau blessé, muet et souffrant. La jalousie, cette pâle compagne