Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/333

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ainsi. Ces passions orageuses, insensées, désespérées, n’expliquent-elles pas ce que ses œuvres ont de mélancolique, de bizarre, de tourmenté, et ajoutons, d’irrésistiblement tendre ! Il ne faut pas l’oublier. Personne n’a trouvé des accents plus adorablement doux que Berlioz. La partie la plus durable de son œuvre est peut-être, non dans ses conceptions les plus grandioses, mais dans ses chefs-d’œuvre d’exquise et intime poésie, le septuor des Troyens, le duo de Béatrice et Bénédict, la seconde partie de l’Enfance du Christ, la Danse des Sylphes. Ce génie si amoureux des éclats de trompette et des coups de foudre, n’est peut-être jamais si sublime que quand il fait très peu de bruit. De cette richesse de contrastes naissait le charme incroyable de Berlioz. M. Guizot, qui se connaissait en hommes, me dit un jour :

« J’ai vue chez vous bien des artistes illustres ; celui qui m’a le plus frappé, c’est M. Berlioz ; voilà une créature vraiment originale ! »

M. Guizot avait dit le mot vrai. Tout était original dans Berlioz. Un mélange extraordinaire d’enthousiasme et de sarcasme ! Un esprit toujours imprévu ! Une conversation qui vous tenait toujours en éveil par son inégalité même ! Parfois de longs silences, avec de sombres regards penchés en bas, et qui semblaient plonger au fond de je ne sais quels abîmes. Puis des réveils soudains, éblouissants ! Un jaillissement de mots spirituels, comiques, touchants ! Des éclats de rire homériques ! Des joies d’enfant ! Il n’était pas très instruit et il n’avait guère que deux livres de chevet ; mais quels livres !