Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/372

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Quand elle se releva de cette maladie, il sembla que lui aussi, se relevait de la sienne ! Il avait changé d’air ! Il avait respiré une atmosphère plus pure, plus saine ! Son cœur s’était retrempé au sein des sentiments naturels, et c’est presque sans surprise qu’un jour je l’entendis me dire : « Le goût du travail me revient. Je sens en moi ce que doivent sentir les arbres sous leur écorce, au mois de mars ! Un mouvement de sève !… » Puis il ajoutait, car il aimait passionnément les fleurs, il ajoutait en riant : « Décidément je crois que je vais entrer dans l’espèce des rosiers remontants ! J’aurais ma floraison d’août ! Seulement, une chose m’inquiète encore, je ne trouve pas de sujet ! ― Vous en trouverez. ― Oui ! mais quand ? Il m’est venu, depuis quelque temps, un mauvais sentiment que j’ose à peine vous avouer et qui me trouble. ― Lequel ? ― Vous le savez, s’il y a des femmes que l’infortune éloigne, il y en a d’autres qu’elle attire. ― Ce sont les meilleures. ― Eh bien, une de ces meilleures-là est venue à moi. Elle me fait penser à ses délicieux vers de Shakespeare dans le récit d’Othello : « Elle m’aima pour mes malheurs et je l’aimai pour la part qu’elle prenait à mes malheurs. » Mais une idée amère empoisonne ce commencement de joie. Je vais vous montrer là un vilain coin de mon cœur. Toute ma vie, mais surtout depuis trois ans, j’ai affiché un grand mépris pour les femmes, j’ai joué à la rouerie, j’ai pris le masque du scepticisme. Eh bien, ce masque est devenu le visage, ce jeu est devenu la réalité, et cette réalité, sous le coup de la trahison dont j’ai été l’objet, est devenue un supplice !