Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/405

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Un homme distingué, amateur intelligent et sagace de curiosités historiques, M. Gustave Bord, m’apporta une lettre autographe adressée par le chancelier Maupeou à un membre du parlement.

Voici cette lettre :

« En fixant à jeudi ma visite au Parlement, je m’étais flatté d’entendre M. Legouvé, et je me faisais un plaisir de donner à MM. du Conseil la plus grande idée de l’éloquence de notre barreau. On m’annonce qu’il ne veut plus plaider. Ce projet-là n’est sûrement pas formé pour me mortifier, et M. Legouvé n’aura pas attendu que je sois chancelier pour commencer à me déplaire. Il suivra une carrière où il a déjà tant brillé et où il peut briller encore si longtemps, je le désire et tout le public avec moi. ― Maupeou »

Dieu me garde de me comparer à mon grand-père ; mais, enfin, j’ai beaucoup parlé en public : la parole a été une de mes grandes joies et m’a valu plusieurs succès. Eh bien, depuis cette lettre, je ne me suis jamais reporté par la pensée à quelque séance heureuse pour moi, au Collège de France ou à la Sorbonne, sans me dire tout bas, en riant :

« Monsieur mon grand-père, je vous dois ces applaudissements-là ; vous m’avez soufflé. »

Je lui avais dû encore plus dans ma jeunesse. Un de ses plus riches clients, un banquier, lui donna en payement cinq ou six arpents de terrain situés aux Champs-Elysées, et formant ce qu’on appelait l’allée des Veuves.

Cette allée des Veuves a joué, dans la maison de mon