Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/431

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enfant. En revanche, j’ai reçu, de personnes assez peu distinguées comme intelligence, des ouvrages de théâtre où se trouvait ce je ne sais quoi que rien ne remplace, qui ne s’acquiert pas, qui ne se perd pas, et qui constitue l’auteur dramatique… C’est le don. Goubaux l’avait au suprême degré. Chez lui, tout était natif, même l’habileté ; spontané, même l’expérience. De plus, comme il était un penseur en même temps qu’un dramatiste, son goût le portait à fonder ses drames sur un caractère ou sur une passion plutôt que sur un fait. Après avoir fait Trente ans ou la vie d’un jouer, il songea à peindre la vie d’un ambitieux : Richard Darlington. Seulement, cette fois, il prit pour collaborateur un vrai maître, Alexandre Dumas. Quelle fut la part de chacun dans l’œuvre commune ? Dumas l’a raconté lui-même dans ses Mémoires avec une bonne foi et une bonhomie charmantes.

A Goubaux, l’idée première, l’invention du caractère principal, la scène si originale des élections, l’entrevue si saisissante du roi et de Richard. A Dumas, le prologue, un grand nombre des situations les plus dramatiques, et le dénouement.

Ce dénouement embarrassait fort les deux collaborateurs. Il fallait faire disparaître la jeune femme de Richard, mais comment ? Un matin, Goubaux, toujours cherchant, arrive chez Dumas.

Il sonne, il entre. Dumas était encore couché. En voyant Goubaux, il se dresse tout debout sur son lit, ses longues jambes noires sortant des pans de sa chemise blanche, et, agitant frénétiquement ses mains au-