Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/487

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nature, messieurs. Votre amour-propre domine tout dans les questions d’amour. Un mari surpris par sa femme à un rendez-vous, est dans une position ridicule, donc le mien doit être furieux. Ne me ménagez pas, je n’en aurai que plus de mérite à reprendre le haut de la position, et la scène de la réconciliation n’en sera que plus touchante.

Cette scène arrivée, Louise restait seule avec son mari et lui exprimait sa confiance dans l’avenir en disant : « Je ne crains plus rien, je ne sais plus rien, il me semble que nous nous sommes mariés hier. » Mlle Mars s’arrête à ce mot, et de sa voix un peu brusque, sa voix de ville, elle me dit : « Je ne prononcerai pas cette phrase-là. ― Pourquoi donc, madame ? ― Parce qu’elle est mauvaise. ― Mauvaise ! mauvaise !… repris-je un peu piqué (j’avais trente ans, je n’étais pas patient), je la trouve très bonne. ― Ah ! vous trouvez cela bon, vous : « Nous nous sommes mariés hier. » ― Oui, madame ; ce mot exprime très bien le sentiment de confiance qui reporte Louise aux premiers jours de son bonheur. ― Tout ce que vous voudrez ; mais je ne dirai pas : « Nous nous sommes mariés hier… » il faut mettre autre chose. ― Quoi ? Que voulez-vous que je mette ? ― C’est bien simple… Mettez : Tra, la, la, la, la, ― tra, la, la, la, la, ― tra, la, la, la, la ! ― Ah ! mon Dieu, pensai-je, elle est devenue folle. » Et je m’en allai. Tout en m’en allant, et ma première colère passée, je me mis à réfléchir : « Que diable a-t-elle voulu dire ? Est-ce que par ces tra, la, la, séparés en membres égaux, elle aurait voulu marquer le rythme, l’harmonie qu’elle a