Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/492

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« Ton vicaire ! ton vicaire ! amène-le-moi ! » écrit-elle à Mme Dabadie. Il vint et c’est de lui que je tiens les détails des derniers jours de celle qui fut Mlle Mars. Le brave prête était encore tout ému en parlant de sa grâce, de son charme et de sa séduction ! Hélas ! la pauvre femme ! ce rôle de pénitente était son dernier rôle ; elle le joua comme elle avait joué tous les autres, dans la perfection. L’abbé Gallard lui ayant dit en lui parlant de ses triomphes d’autrefois : « Où sont toutes vos belles couronnes, mademoiselle ! ― Ah ! monsieur l’abbé, répondit-elle en souriant, vous m’en préparez une bien plus belle et qui durera toujours ! »

Le dernier jour, prise de courts délires en récitant ses prières, elle s’interrompit tout à coup, et après un moment d’arrêt, se mit à dire des paroles où il était question de Dorante, d’amour, c’était un passage des Fausses confidences. Puis elle fit silence, écouta, et applaudit. N’est-ce pas délicieux ? Ce mélange de l’actrice et de la spectatrice, cette voix qui s’écoute, ces mains qui s’applaudissent, ces alternances de versets sacrés et de phrases de comédie, tout cela n’a-t-il pas la grâce de ses plus jolie rôles ? Qui eut le dernier mot ? Les psaumes de David ou Marivaux ? Je pencherais pour Marivaux. Ce qui suit l’artiste le plus avant dans la mort, c’est l’art.