Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/495

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de lui donner dans la succession, le magasin en partage ? Rien de plus simple. Son frère, officier du génie, ne pouvait pas le prendre. On le passa à Schœlcher, qui l’accepta parce que c’était une mauvaise affaire. Oh ! le singulier marchand, le singulier fabricant, et la singulière boutique ! Il ne lui manquait que quatre choses pour son état : il ne savait ni vendre, ni acheter, ni administrer, ni fabriquer. Entendons-nous. Il fabriquait très bien ; il fabriquait trop bien. Avec son goût passionné et charmant pour tout ce qui est objet d’art, il inventait des modèles exquis de coupes, de vases, de corbeilles, d’assiettes, et il mettait un soin merveilleux à les faire exécuter… Seulement le prix de revient était tel, que le prix de vente devenait impossible. Il faisait sauter de surprise tous les clients qui se mettaient à marchander. Les malheureux ! Schœlcher n’admettait pas qu’on pût marchander avec lui. C’était lui faire une injure. Une dame ayant insisté avec toute la grâce câline et tenace des femmes du monde, pour une réduction, Schœlcher la regarde fixement, et d’un ton froid et calme, lui dit : « Pardon, madame, vous me prenez donc pour un malhonnête homme ? » La dame rougit et ne revint pas. Ce n’est pas précisément ainsi qu’on achalande une boutique.

On ferait un volume avec ses excentricités de marchand. Un matin, entra dans son magasin un de ses confrères du passage de l’Opéra, avec lequel il avait je ne sais quelle affaire. Le marchand le traitant en égal, s’emporte, et se permet quelques paroles un peu vives. « Monsieur, lui dit Schœlcher, je vous ferai observer