Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/520

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musique, il me dit : « Voici ce morceau, mais comme il n’est pas de moi, je ne veux pas m’en attribuer le mérite, et je l’intitulerai Transcription. » Ainsi fit-il. Le morceau parut sous ce titre, et avec une petite préface explicative. Mais le plus piquant, c’est qu’il me demande instamment d’écrire dans un journal un article sur cette mélodie. « Mais surtout, ajouta-t-il, ayez bien soin d’en indiquer l’origine. » Mon embarras fut très grand, je ne voulais pas le refuser, je l’aurais affligé ; je ne voulais pas plaisanter sur sa version, je l’aurais blessé ; je ne voulais pas avoir l’air d’y croire, j’aurais été ridicule. A force de chercher, je m’en tirai à sa satisfaction, et, paraît-il, à mon honneur. Mais un seul journal consentit à publier mon récit miraculeux, la Gazette de France.

En général, de telles excentricités prêtent à rire. Mais personne n’a jamais pensé à rire d’Urhan. Peu d’hommes, dans son temps, ont été plus comptés. La sincérité de sa foi, l’austérité de sa vie, l’ardeur de sa charité (il donnait tout ce qu’il gagnait) commandaient à tous le respect et la considération ; on sentait en lui ce que les hommes honorent le plus, et le plus justement, un caractère. Sa dignité d’artiste était proverbiale. Cette dignité ne venait pas seulement du respect de lui-même, mais du respect de son art. J’en puis citer une preuve frappante. Le marquis de Prault, amateur de musique fort intelligent, avait institué dans son hôtel du faubourg Saint-Honoré, des matinées de quatuors et de trios d’instruments à cordes, dont il avait confié l’organisation et la direction à Urhan. Urhan y jouait les premiers