Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/53

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mais, si j’en trouve un supérieur, je vous abandonne sans merci. ― Je ne demande que cela ! » répliquai-je vivement. Il sourit de ma vivacité, et ajouta : ― « Quelque chose me dit que je ne vous abandonnerai pas. Vous n’aurez pas hérité de votre père que les yeux. Mais, d’abord, dites-moi avez-vous travaillé avec cœur ? Comment avez-vous trouvé le sujet ? ― Beau d’abord, plus beau à mesure que je l’ai creusé. ― Vous avez raison. C’est un grand sujet. Savez-vous à quoi ressemblait la terre avant l’invention de l’imprimerie ? A une planète où la lumière ne brillerait que pour quelques élus. Cette belle parole : Le soleil luit pour tout le monde, n’est vraie pour le génie que depuis l’invention de l’imprimerie. ― Je suis fâché, répondis-je ne riant, que vous ne m’ayez pas dit cela avant le concours : je l’aurais mis dans ma pièce de vers. ― Ah ! oui, reprit-il gaiement, mais avant je ne vous l’aurais pas dit ! Revenez me voir un de ces matins ; on aura lu votre pièce, et je vous dirai son sort. »

Quinze jours après, un jeudi, j’arrive à midi ; il était en train de s’habiller.

— « Vous arrivez à merveille, me dit-il. Vous êtes réservé, réservé pour concourir au prix. Il y a vraiment de très bonnes choses dans ce numéro 14. J’ai surtout remarqué un passage où se retrouve quelque peu du talent de votre père, une certaine note mélancolique qui sort du ton habituel des ouvrages qu’on nous envoie. Mais, je ne dois pas vous le cacher, vous avez trois rivaux redoutables : d’abord, le grand concurrent ordinaire, Bignan, que soutient fort Baour-Lormian ;