Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/547

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là ! » Effrayé, M. Cottrau se leva vivement et entraîna le malheureux qui le suivit la tête basse. Au détour d’une rue, ils rencontrent une affiche de spectacle. Elle portait que la représentation du lendemain était donnée au profit d’un artiste pauvre. « Ah ! dit vivement Nourrit, se réveillant tout à coup, une bonne action ! j’en veux prendre ma part !… » Et il fit dire au théâtre qu’il se sentait mieux, et qu’il chanterait. Le lendemain matin, ses appréhensions l’avaient ressaisi. Manuel Garcia, épouvanté de la décomposition de ses traits, le pressa de questions. « Cette représentation m’effraye, lui dit-il. Je me demande toujours, quand je commence, si je pourrai aller jusqu’au bout. Je suis las de combattre. » Manuel Garcia, pour le distraire, l’ayant prié d’écrire quelques lignes sur l’album de Mme Garcia qu’il avait apporté, Nourrit prit la plume, et improvisa ces vers :

 
Si tu m’as fait à ton image,
O Dieu, l’arbitre de mon sort,
Donne-moi le courage
Ou donne-moi la mort !
Mon âme, en proie à la souffrance,
Est près de succomber,
Dans l’abîme où meurt l’espérance,
Ah ! ne me laisse pas tomber.


Manuel Garcia avait amené avec lui, un jeune compositeur italien, M. Salli, qui exprima à Nourrit le désir de faire un opéra sur un poème de lui. « Oui, monsieur, lui répondit-il, je vous ferai un poème, et le sujet sera Le fou par excès de bonheur. »