Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/589

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Trissotin, que j’aurais fini ma pièce. Le tableau de ces deux cuistres, se déchirant l’un l’autre, se démasquant l’un l’autre, et désillusionnant eux-mêmes leurs dupes sur leur compte, eût conclu magistralement une œuvre magistrale. Quant à Tartuffe, ajouta-t-il, c’est différent ! En général, on en blâme le dénouement ; moi je le trouve admirable. D’abord, il a un mérite immense à mes yeux ; sans lui, nous n’aurions peut-être pas eu la pièce, et Molière n’en a sans doute obtenu la représentation qu’en faisant du roi un des acteurs de l’ouvrage. Puis, quelle saisissante peinture de l’époque que ce dénouement ! Voilà un homme de bien, un homme de cœur, qui a vaillamment servi son pays, et qui, devenu victime de la plus patente et de la plus odieuse des machinations, ne trouve, ni dans la société, ni dans la justice, une seule arme pour se défendre contre le spoliateur. Pour le sauver, il faut que le souverain intervienne comme le Deus ex machina. Où trouver une plus terrible condamnation du règne, que dans cet éloge immense du roi ? Voilà pourquoi, disait Scribe, j’admire tant ce dénouement, et voilà pourquoi je le changerais si j’avais la pièce à faire aujourd’hui. Aujourd’hui, en effet, le seul roi, c’est la loi. C’est donc le code que je chargerais du rôle de Louis XIV, c’est à lui que je demanderais un dénouement. Je ferais de Cléante, un magistrat, et au moment où Tartuffe dit : « La maison est à moi, je le ferai connaître ! ― Non, elle n’est pas à vous, s’écrierait Cléante ; car vous n’en êtes le maître que par la générosité d’un bienfaiteur, que par