Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/608

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un peu lourde. Ce qui le caractérisait, c’était, sous deux énormes arcades sourcilières, deux petits yeux verts, spirituels et pleins de pétillement ! Mais surtout une bouche ! deux coins de bouche ! deux petites fossettes d’enfant à côté de la bouche ! Et, avec cela, si câlin, si coquet, si amusant et si godiche ! » Je me récriai. ― « Oh ! non ! vrai ! ajouta-t-elle avec son petit sourire infernal, il y avait conscience à le tromper, c’était trop facile !… » Je n’en revenais pas. Scribe facile à tromper. « Cela vous étonne, reprit-elle, mais vous ne savez donc pas ce qu’était Scribe ? Un naïf ! »

A ce portrait tracé de main de femme, je puis en ajouter au autre fait par Scribe lui-même. Nous causions du Gymnase et du célèbre acteur Gontier. « Gontier, me disait-il, excellait à faire la charge des gens. Un jour, dans le foyer, après avoir caricaturé acteurs et auteurs avec grand succès, il commence une dernière charge qui soulève les bravos et les applaudissements de tout le monde ! Seul, je ne riais pas. ― « Qui est-ce donc ? dis-je, tout haut, je ne connais pas ce pataud-là ! Là-dessus les éclats de rire redoublent. Ce pataud-là, c’était moi ! » Voilà Scribe ! ne se surfaisant jamais, ne se vantant jamais, et ne parlant jamais de ses bonnes fortunes… Plutôt prêt à raconter les autres.

Une nuit, au bal de l’Opéra, une femme masquée l’accoste et lui prend le bras. Sa démarche disait qu’elle était jeune… et deux yeux noirs, luisant à travers les trous du masque, faisaient croire qu’elle était jolie. La