Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/641

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M. Viennet avait de l’esprit, du talent, une grande loyauté, une brusquerie bourrue qui ressemblait à de la bonhomie, le tout accompagné d’un amour-propre justifié sans doute par son mérite ; mais seulement, son mérite et son amour-propre n’allaient pas du même côté. Il était un poète satirique, très applaudi, et il se croyait un grand génie tragique.

Un jour donc, voilà M. Viennet qui tombe dans la loge de Mlle Rachel :

« Mademoiselle, vous ne me connaissez peut-être pas, je suis Viennet.

— Oh ! monsieur, répond-elle de sa voix la plus câline… Qui ne connaît pas… Viennet ?

— On dit que vous désirez un rôle nouveau ?

— Ardemment.

— Je vous en apporte un admirable.

— Vous n’aviez pas besoin d’ajouter d’épithète.

— Pas de flatterie… Je ne veux pas vous vendre chat en poche, moi. Je ne vous demande pas de jouer ma tragédie, mais de l’entendre. Il est vrai que je suis bien sûr que quand vous l’aurez entendue…

— Et moi aussi, j’en suis bien sûre.

— Vous consentez donc à m’écouter ?

— Si j’y consens, monsieur Viennet ! je suis trop heureuse, permettez-moi de dire,… trop fière, que vous ayez pensé à une humble artiste comme moi, pour être votre interprète.

— Hé bien, quand ? Demain ?

— Demain.

— A deux heures ?