Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/678

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de dialogue, nous mit, mes cinq cent auditeurs et moi, en telle familiarité, que ma peur disparut du coup, et quand, au bout de vingt-cinq minutes, je pus enfin prendre la parole, j’étais absolument maître de moi, et un peu maître d’eux. Mon succès fut, j’ose le dire, très réel, même éclatant. Un petit incident m’apprit pourtant à quel auditoire ombrageux j’avais affaire. Le développement de mon sujet, m’ayant amené à parler de la séduction, je prononçai cette phrase : « On voit beaucoup de pauvres jeunes filles, séduites par des officiers, par des étudiants. » A ce mot étudiants, s’élève un tolle formidable de murmures, et de sifflets étouffés… Je me tais ; j’attends que le bruit s’apaise,… et une fois le silence rétabli,… je reprends froidement et fortement : « On voit souvent de pauvres filles, entraînées à Paris, et séduites par des officiers, surtout par des étudiants. » Tonnerre d’applaudissements ! Ce qui m’apprit une vérité dont je me suis souvent souvenu et souvent servi depuis, c’est que quand on se présente devant une foule, la première condition est d’y arriver avec une opinion assez ferme pour ne jamais reculer devant sa propre pensée. Les hommes réunis respectent toujours une conviction sincère, et on ne leur impose qu’en s’imposant. La fin fut marquée par une scène comique. J’avais fini, et je me levais au milieu des applaudissements pour m’en aller, quand tout à coup, je vois se dresser à quelques pas de moi, et se hisser sur la banquette, un petit vieillard à cheveux blancs, qui m’interpellant avec un geste d’enthousiasme, s’écria : « Bravo ! jeune homme !sic itur ad astra. » Il continua