Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/688

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faite, Reynaud prend la capsule avec une pince et commence à la transporter doucement, pour la soumettre à l’analyse, sur une table de marbre située à l’extrémité du laboratoire. A mi-chemin, il sent que la capsule échappe à la pince… tout est perdu ! Son épreuve va manquer, son examen est compromis ! Aussitôt il place vivement la main gauche sous la capsule brûlante, l’y reçoit, et sans se hâter, sans que sa main bouge, il traverse le laboratoire et va déposer la précieuse coupe sur la table de marbre. Son analyse réussit, mais il avait la main brûlée presque jusqu’à l’os.

Comme voyageur, ses camarades de route ont gardé de lui un vif souvenir. Rien ne peut rendre, dit-on, la fougue de corps et d’esprit, l’infatigable ardeur de marche et de recherches de ce hardi et curieux pionnier. C’était toute la furie française appliquée à la science et à l’aventure. La faim, la soif, la fatigue, le danger, rien ne comptait pour lui. Il faisait dix lieues en dehors de sa route, pour étudier quelque accident de terrain intéressant, pour constater quelque progrès scientifique, et surtout pour pénétrer dans les mœurs des populations industrielles. Car le sort des travailleurs faisait déjà un de ses grands soucis, et la secourabilité, qu’on me pardonne le mot, une de ses grandes vertus.

Son compagnon de voyage dans la chaîne du Hartz et dans la Forêt-Noire, le savant M. Leplay, m’a raconté qu’après une longue journée de marche, Reynaud, le voyant fatigué, et voulant lui abréger la route, se lança à travers des escarpements inaccessibles à la recherche d’un sentier plus court qu’il