Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/698

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de la paix et de la lumière de ces sublimes spectacles.

En Corse, il passe de longue heures, assis, ou plutôt, comme il le dit lui-même énergiquement, à cheval sur la pointe d’un roc qui s’avançait dans la mer comme un promontoire ; et là, seul, en plein ciel, voyant ou sentant tout autour de lui, à l’horizon, la France, l’Italie et la Grèce, loin de la terre et cependant relié à la terre par la vue et la pensée, il agita en lui-même toutes les grandes questions de la vie. Là se formèrent, au sein de l’immensité et comme à portée de la voix de Dieu, toutes ses idées sur le Créateur, sur la création, sur l’homme, sur la société, sur nos devoirs, sur nos droits. Mais là aussi lui apparurent sa place à lui, et son rôle dans ce monde. Il était monté sur ces montagnes, ingénieur, il en redescendit philosophe, et le philosophe força l’ingénieur à donner sa démission.

Je dis força, le mot n’est que juste. Ce moment fut pour Reynaud un moment de grande lutte. Une fois engagé dans le monde des idées, une fois gagné à leur cause, il sentit le besoin de se vouer tout entier à leur service. Depuis son arrivée en Corse, il était resté en active correspondance avec le jeune groupe de polytechniciens, et tout ce qui s’agitait à Paris l’agitait. La révolution de Juillet, qui éclata sur ces entrefaites, acheva de mettre le feu à son âme. Alors les affaires pratiques, les détails administratifs, le métier d’ingénieur, lui devinrent odieux. La perspective d’être condamné à une telle vie, dût-elle le mener un jour aux plus hautes fonctions, le fit frémir. « J’ai besoin d’agir, écrivait-il, je sens quelque chose qui me pousse !… » La Corse commence