Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/732

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II

Si jamais contraste saisissant a existé entre deux hommes, c’est certainement entre Ampère et Brifaut. A leur aspect on se sentait en face de deux êtres d’une race d’hommes différente. Autant l’un était effervescent d’allure, négligé de toilette, désordonné de chevelure, autant l’autre était correct, régulier, soigné, élégant. Ampère a visité toutes les capitales des deux continents : M. Brifaut n’a guère connu qu’une ville, Paris ; dans Paris, qu’un quartier, le faubourg Saint-Germain ; dans ce faubourg, qu’une classe, l’aristocratie. Ses voyages consistaient à aller passer deux mois en Dauphiné, chez Mme la duchesse de ***, quinze jours en Normandie, chez Mme la marquise de ***, et de revenir bien vite rue du Bac, aussitôt que les hirondelles partaient. Comment ce nom tout roturier de Brifaut lui avait-il ouvert les châteaux et les salons de la plus haute noblesse de France ? Comment y était-il recherché, choyé, aimé ? Son esprit si délicat, sa conversation si brillante, ses manières, qui étaient celles de la meilleure compagnie, ne suffisent pas à l’expliquer. On parlait tout bas d’un mystère de naissance qui faisait de lui l’héritier indirect d’une des plus grandes dames de ce temps, et rien qu’à le voir, on le croyait. Jamais plus