Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/764

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accents, et lorsque enfin il se senti vaincu, il jeta, pour dernière parole, cette adjuration qui nous fait tressaillir aujourd’hui, comme les prophéties de la Cassandre antique : « Eh bien ! soit donc, puisque vous le voulez !… Ramenez ses restes ! Donnez pour piédestal à sa statue, la colonne !… c’est son œuvre ! c’est son monument ; mais au moins, écrivez sur le socle : A Napoléon lui seul ! »

Bientôt l’opposition de Lamartine s’accentua de plus en plus. Il ne se mêla pourtant à aucune conspiration quelle qu’elle fût [1]. Personne n’était moins conspirateur que lui, d’abord parce que conspirer c’est être plusieurs, et qu’il tenait avant tout à marcher seul ; puis sa généreuse nature répugnait à toute machination clandestine. Mais ses discours, ses conversations et bientôt ses livres conspirèrent pour lui : il publia les Girondins.

Les Girondins sont à la fois un livre et un acte.

Comme livre, ils offrent un genre de mérite très particulier, qu’un mot de Lamartine caractérise.

Le jour où il arriva pour la première fois sur le mont Liban, il fut saisi d’un tel enthousiasme qu’il improvisa soudain une admirable description de ce grand spectacle, en face du spectacle même. Un de ses compagnons, jeune officier, ne put s’empêcher de lui dire : « Où voyez-

  1. Un fait que je cite ici par anticipation, montre bien son goût pour rester toujours en dehors des mouvements concertés. Il ne voulut jamais prendre part à la campagne des banquets ; mais quand une fois les chefs de ce mouvement eurent donné rendez-vous à la population, sur la place publique, et qu’ensuite, par prudence, ils hésitèrent à s’y rendre, Lamartine dit : « J’irai, dussé-je n’y être accompagné que de mon ombre ! » Et il y alla.