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IV

Le rêve de Lamartine est réalisé. Un jour de tempête, et lui au gouvernail ! Il y fut admirable de naïve grandeur. Pendant trois mois, sans commettre une illégalité, sans faire un acte de violence, sans tirer un coup de fusil, sans verser une goutte de sang, il gouverna, administra, modéra, maîtrisa, électrisa… Avec quoi ? Avec la parole. Les passions les plus furieuses, les besoins les plus impérieux, les théories les plus fatales venaient-elles frapper à la porte de l’Hôtel de Ville ? Lamartine sortait du conseil, montait sur une chaise, parlait pendant un quart d’heure, en demandant ingénument à ceux qui l’accompagnaient : « Est-ce bien cela ? » Et les passions se calmaient, les rugissements tombaient, les bêtes féroces s’apaisaient ; ce n’était plus de l’histoire, c’était de la mythologie ; on n’avait pas vu chose pareille depuis Orphée.

Lamartine a eu de bien beau jours dans ces trois mois, quel fut le plus beau ? Le jour du drapeau rouge ? Non ! Celui du manifeste ? Non ! Celui où il répondit à des furieux qui demandaient sa tête : « Plût à Dieu que vous l’eussiez tous sur vos épaules ! » Non ! Le 16 avril et le 3 mai, voilà, selon moi, les deux dates le plus mémorables de ce règne de trois mois. Le 16 avril, parce que ce