Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/788

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Allan, qu’il ne me tente pas. Mais si vous désirez que je le joue, je le jouerai. » Voilà Scribe qui lui prend les mains, qui l’embrasse, qui la remercie avec effusion, ajoutant : « C’est égal ! je vous regretterai toujours dans l’autre. Je l’avais écrit avec amour, pour vous ; et votre délicatesse, votre finesse, votre grâce auraient fait un chef-d’œuvre de ma jeune veuve. ― Quelle jeune veuve ? reprend vivement Mme Allan. ― Madame de Nangis. ― Madame de Nangis ! voilà le rôle que vous me destiniez ! ― Sans doute. ― Et celui que vous ne m’offriez qu’en tremblant… ― C’est celui de la jeune femme mariée. ― Mais, mon cher ami, s’écria Mme Allan, c’est celui-là qui est le bon ! Votre jeune veuve est un personnage, comme vous en avez créé vingt, charmant, sans doute, gracieux, j’en conviens, mais l’autre, l’autre c’est un caractère. Ah ! vous verrez ce que j’en ferai ! » Elle tint si bien sa parole que le jour de la première représentation, elle éteignit absolument la jeune veuve. Tous les grands effets allèrent à elle. Son entrée au second acte souleva dans la salle de véritables acclamations. Enfin, elle fit tellement de ce rôle sa création, que personne, depuis elle, n’a pu y réussir. Mme Rose Chéri l’a essayé, Mlle Delaporte l’a essayé, toutes deux y ont échoué, le rôle a disparu avec la première interprète. Eh bien, c’est cette Mme Allan, qui, après dix ans passés en Russie, revint à Paris, apportant dans son bagage dramatique, une petite comédie non représentée, à demi inconnue, perdue dans les pages de la Revue des Deux Mondes, et restée à l’état d’un agréable pastiche de Marivaux, le Caprice d’A. de Musset.