Page:Leibniz - La Monadologie, éd. Bertrand, 1886.djvu/13

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curieux de son tempérament intellectuel : passionné pour la réflexion personnelle et la méditation, il évitait justement les ouvrages qui, par leur obscurité ou l’enchaînement logique de leurs déductions, semblent exiger le plus de réflexion et de méditation. « C’est que, dit-il, en suivant ses propres méditations, on suit un certain penchant naturel, et l’on profite avec plaisir, au lieu qu’on est gêné furieusement quand il faut suivre les méditations d’autrui. J’aimais toujours des livres qui contenaient quelques belles pensées, mais qu’on pouvait parcourir sans s’arrêter, car ils excitaient en moi des idées que je suivais à ma fantaisie et que je poussais où bon me semblait. Cela m’a encore empêché de lire avec soin des livres de géométrie, et j’ose bien avouer que je n’ai pu encore gagner sur moi de lire Euclide autrement qu’on a coutume de lire les histoires[1]. »

Leibniz quitta le gymnase à quinze ans et rentra en 1661 à l’université de Leipsig où il eut pour maître Jacques Thomasius, philosophe sans originalité, mais profondément versé dans l’histoire de la philosophie ancienne. En 1663, il écrivit une thèse remarquée sur le Principe d’individuation où il se prononçait pour le nominalisme. Il alla ensuite à Iéna et s’y occupa plus spécialement d’histoire sous Bovius et de mathématiques sous Ehrard Weigel. C’est alors qu’il eut la première idée de son art combinatoire, premier germe du projet qu’il n’abandonna jamais de fonder une langue ou caractéristique universelle, qui jouerait en philosophie le rôle de la notation en algèbre. Il se décida enfin pour la carrière de la jurisprudence et voulut prendre, à Leipsig, le titre de docteur en droit. Refusé sous prétexte de jeunesse, il présenta sa thèse de Casibus perplexis in jure à Altdorf où il fut reçu brillamment et où l’on tenta même de le retenir comme professeur. Terminons l’histoire de cette période de sa vie par le récit plaisant que nous donne Fontenelle de la manière dont Leibniz se fit affilier à la confrérie de la Rose-Croix, à Nuremberg, ville dont le séjour l’avait tenté par le mouvement littéraire et scientifique qu’il y trouvait. « Quand il eut été reçu docteur en droit à Altdorf, il alla à Nuremberg pour y voir des savants. Il apprit qu’il y avait dans cette ville une société fort cachée de gens qui travaillaient en chimie et cherchaient la pierre philosophale. Aussitôt le voilà possédé du désir de profiter de cette occasion

  1. Gerhardt, Lettre à Foucher, t. Ier, p. 371.