Page:Leibniz - La Monadologie, éd. Bertrand, 1886.djvu/27

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

dait plus. Sa mémoire, qui était admirable, ne se déchargeait point, comme à l’ordinaire, des choses qui étaient écrites ; mais seulement l’écriture avait été nécessaire pour les y graver à jamais. Il était toujours prêt à répondre sur toutes sortes de matières, et le roi d’Angleterre l’appelait son Dictionnaire vivant.

Il s’entretenait volontiers avec toutes sortes de personnes : gens de cour, artisans, laboureurs, soldats. Il n’y a guère d’ignorant qui ne puisse apprendre quelque chose au plus savant homme du monde ; et en tous cas le savant s’instruit encore, quand il sait bien considérer l’ignorant. Il s’entretenait même souvent avec les dames et ne comptait point pour perdu le temps qu’il donnait à leur conversation. Il se dépouillait parfaitement avec elles du caractère de savant et de philosophe, caractère cependant presque indélébile et dont elles aperçoivent bien finement et avec bien du dégoût les traces les plus légères. Cette facilité de se communiquer le faisait aimer de tout le monde. Un savant illustre qui est populaire et familier, c’est presque un prince qui le serait aussi ; le prince a pourtant beaucoup d’avantages.

Leibniz avait un commerce de lettres prodigieux. Il se plaisait à entrer dans les travaux et dans les projets de tous les savants de l’Europe ; il leur fournissait des vues ; il les animait et, certainement, il prêchait d’exemple. On était sûr d’une réponse dès qu’on lui écrivait, ne se fût-on proposé que l’honneur de lui écrire. Il est impossible que ses lettres ne lui aient emporté un temps très considérable : mais il aimait autant l’employer au profit ou à la gloire d’autrui qu’à son profit ou à sa gloire particulière.

Il était toujours d’une humeur gaie, et à quoi servirait sans cela d’être philosophe ? On l’a vu fort affligé à la mort du feu roi de Prusse et de l’électrice Sophie. La douleur d’un tel homme est la plus belle oraison funèbre.

Il se mettait aisément en colère, mais il revenait aussitôt. Les premiers moments n’étaient pas d’aimer la contradiction sur quoi que ce fût, mais il ne fallait qu’attendre les seconds ; et, en effet, ses seconds mouvements, qui sont les seuls dont il reste des marques, lui feront éternellement honneur.

On l’accuse de n’avoir été qu’un grand et rigide observateur du droit naturel. Les pasteurs lui en ont fait des réprimandes publiques et inutiles.

On l’accuse aussi d’avoir aimé l’argent. Il avait un revenu très considérable en pensions du duc de Volfembutel, du roi