Page:Leibniz - La Monadologie, éd. Bertrand, 1886.djvu/43

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y a des composés ; car le composé n’est autre chose, qu’un amas, ou aggregatum des simples.

3[1]. Or là, où il n’y a point de parties, il n’y a ni étendue, ni figure, ni divisibilité possible. Et ces Monades sont les véritables Atomes de la Nature et en un mot les Éléments des choses.

4[2]. Il n’y a aussi point de dissolution à craindre, et il


    Ce qui fait l’essence d’un être par aggrégation n’est qu’une manière d’être de ceux dont il est composé : par exemple, ce qui fait l’essence d’une armée n’est qu’une manière d’être des hommes qui la composent. Cette manière d’être supposé donc une substance, dont l’essence ne soit pas une manière d’être d’une substance. Toute machine aussi suppose quelque substance dans les pièces dont elle est faite, et il n’y a point de multitude sans de véritables unités. Pour trancher court, je tiens pour un axiome cette proposition identique qui n’est diversifiée que par l’accent, savoir que ce qui n’est pas véritablement un être, n’est pas non plus véritablement un être. On a toujours cru que l’un et l’être sont des choses réciproques. » (Ed. Janet, t. Ier, p. 655.) — Il faut remarquer que dans les substances simples il y a multiplicité non de parties, mais de qualités et de modifications, puisque chaque monade est un microcosme, exprime l’univers, en d’autres termes, enveloppe un monde de perceptions inconscientes et conscientes, réfléchissant ainsi tout ce qui l’entoure, et comme dit Leibniz lui-même : « Quæ sint, quæ fuerint, quæ mox futura trahantur. » Les atomes, au contraire (corpora individua propter soliditatem), n’enveloppent pas une multiplicité, car l’atome paraît être homogène dans sa masse prétendue indivisible : toutefois il n’est pas simple, puisqu’il à une forme et des limites, c’est-à-dire des rapports avec l’espace, une étendue figurée que l’entendement conçoit, bien que les sens ne la puissent pas discerner.

  1. Les Éléments des choses. — Il ne faudrait pas s’imaginer que Leibniz composât les corps de monades comme les atomistes d’atomes, par juxtaposition. Ce serait inintelligible, puisque les monades sont inétendues comme les idées simples qui entrent dans une idée complexe. À vrai dire, les corps ou aggrégats n’ont qu’une apparence d’existence, une apparence, il est vrai, fondée en raison, bene fundata ; mais la nature ou les choses existent réellement dans les monades et par leurs rapports. Leibniz, dans ses lettres à des Bosses, parle d’un vinculum substantiale qui serait la raison de l’aggrégation. Traduisons le passage essentiel : « Je ne retrouve pas ce que je vous écrivis jadis des liens substantiels. Si nous admettons des substances corporelles, quelque chose de substantiel outre les monades, de telle sorte que les corps ne soient pas de purs phénomènes, il faut alors que les liens substantiels ne soient pas simplement les modes des monades… Je ne puis admettre aucune substance corporelle que là où existe un corps organique avec une monade dominante, c’est-à-dire un vivant, un animal, ou un analogue de l’animal. Tout le reste n’est qu’aggrégat, unum per acccidens, non unum per se. » (Erdm., 689, a.) Ainsi un corps inorganique ne fait que représenter à nos sens un assemblage de monades qui ne tombent pas sous les sens, mais ces monades sont réelles et la perception des corps n’est pas un vain rêve : ce serait plutôt une hallucination vraie. Quant aux corps organiques, il semble que le vinculum substantiale introduise en eux une sorte de réalité substantielle, puisqu’il leur donne une sorte d’unité sous une monade dominante, une sorte d’unité, c’est-à-dire une sorte d’être ; seulement ils ne sont encore des êtres que par accident, et il reste vrai que la monade seule est un être en soi.
  2. Point de dissolution à craindre. — Cela est vrai même dans le système des atomes, quoique les atomes n’aient pas la vraie simplicité. « Je ne vois point pourquoi il y aurait moins d’inconvénient à faire durer les atomes d’Épicure ou de Gassendi que de faire subsister toutes les substances véritablement simples et indivisibles qui sont les seuls et vrais atomes de la Nature. Et Pythagore avait raison de dire en général chez Ovide : « Morte carent animæ. » En d’autres termes, les atomistes et les matérialistes, en général, sont obligés d’admettre