Page:Leibniz - La Monadologie, éd. Bertrand, 1886.djvu/48

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changements naturels des Monades viennent d’un Principe interne, puisqu’une cause externe ne saurait influer dans son intérieur (§§396, 400).

12[1]. Mais il faut aussi qu’outre le principe du changement il y ait un détail de ce qui change, qui fasse pour ainsi dire la spécification et la variété des substances simples.

13[2]. Ce détail doit envelopper une multitude dans l’unité ou dans le simple. Car tout changement naturel se faisant


    telle sorte par avance, qu’il fasse en temps et lieu ce qui répond aux volontés de l’âme ; quoiqu’il soit vrai cependant que l’âme est le principe de l’opération. Mais de dire que l’âme ne produit point ses pensées, ses sensations, ses sentiments de douleur et de plaisir, c’est de quoi je ne vois aucune raison. Chez moi, toute substance simple (c’est-à-dire toute substance véritable) doit être la véritable cause immédiate de toutes ses actions et passions internes ; et, à parler dans la rigueur métaphysique, elle n’en a point d’autres que celles qu’elle produit. (Théod., § 400.)

  1. Un détail de ce qui change. — En d’autres termes, il faut que les changements soient à la fois successifs et permanents ; il faut que chaque acte du principe interne laisse après lui comme un résidu de lui-même. Ainsi, les terrains d’alluvions se forment peu à peu de la mince couche de limon que laisse chaque vague en se retirant. C’est par l’habitude que nous concevons les natures simples, car dans la production d’une habitude, seconde nature, nous voyons une nature, un être se former sous le regard de la conscience. Les habitudes sont les véritables énergies spécifiques, et, dans un sens, chaque être individuel est une espèce à part, et peut être le point de départ d’une variété de l’espèce, d’une espèce véritable.
  2. Une multitude dans l’unité. — C’est ce que Leibniz, dans le paragraphe suivant, appelle proprement la Perception. Il faut entendre ce mot dans son sens le plus large : ainsi, les plantes peuvent et doivent être douées de perception. « Nous ne saurions dire en quoi consiste la perception des plantes, et nous ne concevons pas bien même celle des animaux. Cependant, il suffit qu’il y ait une variété dans l’unité, pour qu’il y ait une perception ; et il suffit qu’il y ait une tendance à nouvelles perceptions, pour qu’il y ait de l’appétit, selon le sens général que je donne à ces mots. M. Swammerdam a donné des observations qui font voir que les insectes approchent des plantes du côté des organes de la respiration, et qu’il y a un certain ordre dans la nature qui descend des animaux aux plantes. Mais il y a peut-être ailleurs des êtres entre deux. » (Lettres à Bourguet, iv, Erdm., p. 732, b.)

    Tout changement naturel se fait par degrés. — C’est l’énonciation du principe de continuité que Leibniz se vante d’avoir introduit en philosophie, mais qui était déjà contenu dans les vieilles maximes : Natura non facit saltus, non datur in rerum natura vacuum formarum. « Les phénomènes actuels de la nature sont ménagés, et doivent l’être de telle sorte, qu’il ne se rencontre jamais rien où la loi de continuité (que j’ai introduite, et dont j’ai fait la première mention dans les Nouvelles de la République des Lettres de M. Bayle), et toutes les autres règles les plus exactes des mathématiques, soient violées. » (Réplique aux objections de Bayle, Erdm., 189, b.) Reportons-nous donc à cette première mention (1687). L’expression du principe est assez abstraite, mais éclaircie par les exemples que l’on trouvera dans l’extrait d’une lettre à M. Bayle. (Erdm., 104.) « Il a son origine de l’infini ; il est absolument nécessaire dans la géométrie, mais il réussit encore dans la physique, parce que la souveraine sagesse, qui est la source de toutes choses, agit en parfait géomètre, et suivant une harmonie à laquelle rien ne peut ajouter. On le peut énoncer ainsi : Lorsque les cas (ou ce qui est donné) s’approchent continuellement, et se perdent enfin l’un