Page:Leibniz - La Monadologie, éd. Bertrand, 1886.djvu/51

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ne devait point y trouver de la difficulté, comme il a fait dans son Dictionnaire, Article Rorarius.

17[1]. On est obligé d’ailleurs de confesser que la Perception et ce qui en dépend, est inexplicable par des raisons mécaniques, c’est-à-dire, par les figures et par les mouve-


    précisément selon l’ordre de la tablature. On ne conçoit pas que, sans cela, cet animal soit jamais capable de se conformer à toute la suite de notes que Dieu a marquée. Appliquons à l’âme de l’homme un pareil plan. M. Leibniz veut qu’elle ait reçu non seulement la faculté de se donner incessamment des pensées, mais aussi la faculté de suivre toujours un certain ordre de pensées, qui correspondent aux changements continuels de la machine du corps. Cet ordre de pensées est comme la tablature prescrite à l’animal musicien dont nous parlions ci-dessus. Ne faudrait-il pas que l’âme, pour changer à chaque moment ses perceptions ou ses modifications, selon cette tablature de pensées, connût la suite des notes et y songeât actuellement ? Or, l’expérience nous montre qu’elle n’en sait rien. Ne faudrait-il pas, pour le moins, qu’au défaut de cette science, il y eût en elle une suite d’instruments particuliers, qui fussent chacun une cause nécessaire d’une telle ou d’une telle pensée ? Ne faudrait-il pas les situer de telle façon, que précisément l’un opérât après l’autre, selon la correspondance préétablie entre les changements de la machine du corps et les pensées de l’âme ? Or, il est bien certain qu’une substance immortelle, simple et individuelle, ne peut point être composée de cette multitude innombrable d’instruments particuliers, placés l’un devant l’autre, selon l’ordre de la tablature en question. Il n’est donc pas possible que l’âme humaine exécute cette loi. » (Voy. la suite.)

  1. Inexplicable par des raisons mécaniques. — C’est une idée que Leibniz développe dans l’avant-propos des Nouveaux Essais. (Erdm., 203, a.) « Pour ce qui est de la pensée, il est sûr qu’elle ne saurait être une modification intelligible de la matière, c’est-à-dire que l’être pensant ou sentant n’est pas une chose machinale, comme une montre ou un moulin, en sorte qu’on pourrait concevoir des grandeurs, figures et mouvements, dont la conjoncture machinale pût produire quelque chose de pensant et même de sentant, dans une masse, où il n’y eût rien de tel, qui cesserait aussi de même par le déréglement de cette machine. » Le matérialisme est donc absolument inintelligible ; l’explication mécanique des choses échoue donc radicalement aussitôt qu’elle tente de rendre compte de la pensée et même de la plus obscure sensation. C’est que la pensée et la sensation sont essentiellement des actions internes, et que le mécanisme explique les choses par l’assemblage de leurs éléments, par des relations extérieures, tandis que le dynamisme se place d’emblée au cœur de la substance, et les perçoit du dedans. Leibniz, dans ce passage, devance les tentatives modernes d’explication de la pensée, par des mouvements ou modifications de la substance nerveuse cérébro-spinale : nous n’en sommes pas encore à nous promener en imagination dans le cerveau : sa structure est loin d’être parfaitement connue ; mais l’on voit qu’il ne faut pas fonder de grandes espérances sur les conquêtes futures de la physiologie, pour définir la pensée et la sensation ; ces conquêtes étendent le domaine de la physiologie, mais ne nous font pas faire un seul pas vers l’explication dernière de la pensée et de la conscience. On lira avec intérêt la contre-partie de la théorie leibnizienne. Elle consiste à soutenir que le cerveau est essentiellement la machine intellectuelle, c’est-à-dire qu’il produit et élabore la pensée avec ou sans conscience. « La machine à vapeur est un mécanisme compliqué, dont la construction et la manière d’agir sont inconnues à un grand nombre de personnes ; mais dont la fonction, bien définie, est parfaitement connue de ces mêmes personnes, qui peuvent s’en former une conception assez exacte. Or, l’activité de la machine dans son ensemble, comme nous la concevons, est bien différente de l’ajustement précis de ses parties isolées ou de l’action de chacune d’elles prises isolément ; cependant sa fonction dépend autant de son mécanisme et de l’action coordonnée de ses parties, que d’une quantité suffisante de combustible ; elle ne peut pas être séparée de ses conditions, hors desquelles elle n’a pas d’existence réelle, mais elle peut exister