Page:Leibniz - La Monadologie, éd. Bertrand, 1886.djvu/60

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Moi, et à considérer que ceci ou cela est en Nous : et c’est ainsi qu’en pensant à nous, nous pensons à l’Être, à la substance, au simple ou au composé, à l’immatériel et à Dieu même ; en concevant que ce qui est borné en nous est en lui sans bornes. Et ces Actes réflexifs fournissent les objets principaux de nos raisonnements (Préf., ***, 4 a).

31[1]. Nos raisonnements sont fondés sur deux grands Principes, celui de la Contradiction, en vertu duquel nous jugeons faux ce qui en enveloppe, et vrai ce qui est opposé ou contradictoire au faux (§§44, 169) ;


    ne saurait se détacher et se fixer à part : il deviendrait un pur néant, quelque chose d’inintelligible. Effort ou principe, il faut à la forme de la conscience une matière qui la révèle : chez Maine de Biran, c’est le mouvement, l’effort ; chez Leibniz, ce sont des principes, l’aperception. Ni l’un ni l’autre ne saurait admettre une substance nue, une cause inerte : la perception d’une telle substance échapperait à la conscience exactement comme la Res de Descartes, éternellement voilée soit par la pensée soit par l’étendue et qui, par conséquent, qu’elle soit dite Res cogitans ou Res extensa, peut fort bien n’être qu’une seule et même Res douée de deux attributs comme l’affirme Spinoza. Dans le passage qui nous occupe on voit fort bien comment Leibniz distingue notre âme du monde des corps : les êtres inanimés ou purement sensitifs ne sauraient s’abstraire pour se réfléchir. Ils sont, pour ainsi dire, enfoncés dans leurs perceptions actuelles qui forment comme un monde matériel, une atmosphère épaisse qui les enserre et étouffe eu eux toute vie spirituelle. Mais on voit moins aisément comment l’âme se distingue de Dieu : elle ne saurait s’identifier avec la matière, mais comment évite-t-elle de se confondre avec Dieu. « Raison, raison, n’es-tu pas le Dieu que je cherche ? » Puisqu’en pensant à nous, nous pensons à l’Être, est-ce que nous ne nous confondons pas avec l’Être ? Si la conscience devient Raison, le moi ne devient-il pas Dieu. Il semble que dans le système de Leibniz, penser, c’est penser Dieu. Spinoza déduit la conscience individuelle de la conscience divine : se connaître soi-même, dit-il, c’est une propriété que la pensée transporte avec elle et que par conséquent elle ne cesse point de posséder en tant qu’elle constitue nos âmes. N’est-ce pas le fond de la théorie leibnizienne et comment éviter de faire de l’homme une Raison consciente, c’est-à-dire Dieu lui-même en tant qu’il se limite et s’impose des bornes par l’insuffisante réceptivité de l’être crée par fulgurations. En nous Dieu aurait aussi conscience de lui-même et se verrait réfléchi à l’infini, mais c’est en lui seulement que nous trouverions le type absolu de la conscience et de la raison. Dans l’élaboration commune de la psychologie que nous appelons biranienne. Ampère insiste sur l’aperception de la raison qui est au fond du moi, Biran sur l’aperception de la conscience qui est la forme personnelle de la raison. Voici un passage de M. Ravaisson qui explique admirablement, sinon la lettre au moins l’esprit de ce paragraphe important. « Comment il y a au fond de toute connaissance — (de toute conscience par conséquent) — un absolu auquel correspond, comme son opposé, le relatif, c’est ce qu’établissait, il y a plus de vingt siècles, contre une doctrine déjà régnante alors de relativité et de mobilité universelles, la dialectique platonicienne, qui fraya le chemin à la métaphysique. Elle faisait plus : elle montrait que par cet absolu seul les relations sont intelligibles, parce qu’il est la mesure par laquelle seule nous les estimons. La métaphysique, entre les mains de son immortel fondateur, fit davantage encore : elle montra que cet absolu, par lequel l’intelligence mesure le relatif, est l’intelligence même. C’est ce que redisait Leibniz lorsque, à cette assertion, renouvelée de la scolastique par Locke, qu’il n’était rien dans l’intelligence qui n’ait été dans le sens, il répondait : « sauf l’intelligence » et que, avec Aristote, il montrait dans l’intelligence la mesure supérieure du sens. » (Rapport, 2e éd., p. 71.)

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