Page:Leibniz - La Monadologie, éd. Bertrand, 1886.djvu/69

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quels ne sauraient avoir leur raison dernière ou suffisante que dans l’être nécessaire, qui a la raison de son existence en lui-même.

46[1]. Cependant il ne faut point s’imaginer avec quelques-uns, que les Vérités éternelles étant dépendantes de Dieu, sont arbitraires et dépendent de sa volonté, comme Descartes paraît l’avoir pris et puis Monsieur Poiret. Cela n’est véritable que des vérités contingentes, dont le principe est la convenance ou le choix du meilleur ; au lieu que les vérités nécessaires dépendent uniquement de son en-

    idéal. Descartes avait peut-être entrevu ces deux solutions ainsi, que l’égoïsme métaphysique de Fichte et l’idéalisme absolu de Hégel, quand il écrivait au père Mersenne : « On ne peut dire sans blasphème que la vérité de quelque chose précède la connaissance que Dieu en a, car en Dieu ce n’est qu’un de vouloir et de connaître. » Selon Leibniz ces deux actes sont totalement distincts, de là ce labyrinthe où il nous égare avec lui.

  1. Dépendent de sa volonté. — « Les vérités éternelles, écrit Descartes au père Mersenne, ont été établies de Dieu et en dépendent entièrement, aussi bien que tout le reste des créatures ; c’est en effet parler de Dieu comme d’un Jupiter ou d’un Saturne, et l’assujettir au Styx et aux Destinées que de dire que ces vérités sont indépendantes de lui. Ne craignez donc point, je vous prie, d’assurer et de publier partout que c’est Dieu qui a établi ces lois en la nature ainsi qu’un roi établit les lois en son royaume… On vous dira que si Dieu avait établi ces vérités, il les pourrait changer comme un roi fait ses lois ; à quoi il faut répondre que oui, si sa volonté peut changer. — Mais je les comprends comme éternelles et immuables. — Et moi je juge de même de Dieu. — Mais sa volonté est libre. — Oui, mais sa puissance est incompréhensible ; et, généralement nous pouvons bien assurer que Dieu peut faire tout ce que nous pouvons comprendre, mais non pas qu’il ne peut faire ce que nous ne pouvons pas comprendre ; car ce serait témérité de penser que notre imagination a autant d’étendue que sa puissance. » (Éd. Garnier, t. IV, p. 303.) On voit que les deux doctrines ne s’opposent pas aussi complètement qu’on l’affirme presque toujours ; toute l’essence dépend, selon Descartes, de la volonté divine ; selon Leibniz, ce n’est qu’une partie de l’essence ou possibilité, à savoir, la tendance ou prétention à l’être qui dépend de la volonté de Dieu. Dieu crée l’essence selon Descartes ; selon Leibniz Dieu la subit logiquement mais en même temps il lui donne tout ce qui fait sa réalité. Hors de lui elle est vide et impuissante ; en lui elle trouve sa perfection et sa raison d’être. D’ailleurs Descartes sur ce point est extrêmement affirmatif et déclare « qu’il était libre et indifférent à Dieu de faire qu’il ne fût pas vrai que les trois angles d’un triangle fussent égaux à deux droits. » Leibniz est fidèle à l’esprit thomiste, Descartes à l’esprit scotiste, et les deux doctrines avaient soulevé déjà de nombreuses disputes pendant le règne de la scolastique.

    La convenance ou le choix du meilleur. — Le principe du mieux se rencontre pour la première fois dans Socrate. Qu’on lise dans le Phédon le récit de l’éducation philosophique de Socrate ; on y verra qu’il fut d’abord séduit par la doctrine d’Anaxagore proclamant que c’est l’intelligence qui a tout ordonné. Mais selon quelle règle ? Socrate nous apprend qu’il fut profondément déçu en ne trouvant après l’énonciation de cet admirable principe que des explications purement physiques. C’est comme si on expliquait la présence de Socrate en sa prison par les nerfs, les muscles, les os qui constituent le corps de Socrate. Cette explication est vraie mais radicalement insuffisante. » Il y a longtemps que ces nerfs, ces muscles et ces os seraient en Thessalie ou ailleurs, où Socrate si j’avais profité du conseil et des secours que m’offrait Criton et si je m’étais évadé de ma prison. Mais j’ai cru qu’il valait mieux que je restasse