Page:Leibniz - La Monadologie, éd. Bertrand, 1886.djvu/78

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Car comme tout est plein, ce qui rend toute la matière liée, et comme dans ce plein tout mouvement fait quelque effet sur les corps distants, à mesure de la distance de sorte que chaque corps est affecté non seulement par ceux qui le touchent, et se ressent en quelque façon de tout ce qui leur arrive, mais aussi par leur moyen se ressent de ceux qui touchent les premiers, dont il est touché immédiatement ; il s’en suit que cette communication va à quelque distance que ce soit. Et par conséquent tout corps se ressent de tout ce qui se fait dans l’Univers ; tellement que celui qui voit tout pourrait lire dans chacun ce qui se fait partout et même ce qui s’est fait ou se fera ; en remarquant dans le présent ce qui est éloigné, tant selon les temps, que selon les lieux : Σύμπνοια πάντα, disait Hippocrate. Mais une âme ne peut lire en elle-même que ce qui y est représenté distinctement, elle ne saurait développer tout d’un coup ses replis, car ils vont à l’infini.

62[1]. Ainsi quoique chaque Monade créée représente tout l’Univers, elle représente plus distinctement le corps qui lui est affecté particulièrement et dont elle fait l’Entélé-


    séquent, des aggrégats ou phénomènes, que Pascal a dit : « Toutes choses étant causées et causantes, aidées et aidantes, médiates et immédiates, et toutes s’entre-tenant par un lien naturel et insensible, qui lie les plus éloignées et les plus différentes, je tiens impossible de connaître les parties sans connaître le tout, non plus que de connaître le tout, sans connaître particulièrement les parties. » (Ed. Havet, t. Ier, p. 7.)

    Σύμπνοια πάντα — Citation chère à Leibniz, que l’on trouve aussi dans l’Avant-propos des Nouv. Ess. Leibniz en élargit le sens ; car, dans Hippocrate, il ne s’agit que du corps humain, où, comme traduit Leibniz, « tout est conspirant », et l’on sait qu’en se fondant sur ce passage du Traité de l’Aliment, on a voulu quelquefois trouver, dans Hippocrate, la circulation du sang. Voici le passage entier dans la traduction latine de Foës : Confluxio una, conspiratio una, consentientia omnia. Ad universam quidem totius naturam, amnia ; ad particularem vero partis cujusque particulæ ad opus. Principium magnum ad extremam partem pervenit, ex parte extrema ad magnum principium pervenit. Una natura, esse et non esse. (De Alim., cap. i.)

  1. Elle représente plus distinctement le corps qui lui est affecté particulièrement, — Leibniz pousse le principe de cette représentation aussi loin que possible ; c’est ainsi, qu’il dit que les mouvements de la lymphe doivent être représentés dans l’âme. Il ne voudrait pas même affirmer sans réserve que la douleur d’une piqûre ne ressemble pas à la pointe de l’aiguille qui pénètre dans les chairs ; ce serait contraire au caractère de l’âme représentative du corps. « Il est vrai que la douleur ne ressemble pas aux mouvements d’une épingle, mais elle peut ressembler fort bien aux mouvements que cette épingle cause dans notre corps, et représenter ces mouvements dans l’âme, comme je ne doute nullement qu’elle ne fasse. C’est aussi pour cela, que nous disons que la douleur est dans notre corps, et non pas dans l’épingle. » (Nouv. Ess., liv. II, ch. x.)