Page:Leibniz - La Monadologie, éd. Bertrand, 1886.djvu/80

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conséquent dans le corps, suivant lequel l’univers y est représenté (§403).

64[1]. Ainsi chaque corps organique d’un vivant est une espèce de Machine divine, ou d’un Automate naturel, qui surpasse infiniment tous les automates artificiels. Parce qu’une Machine, faite par l’art de l’homme, n’est pas Machine dans chacune de ses parties. Par exemple : la dent d’une roue de laiton a des parties ou fragments, qui ne nous sont plus rien qui marque de la machine par rapport à l’usage, où quelque chose d’artificiel et non plus la roue était destinée. Mais les machines de la nature, c’est-à-dire les corps vivants sont encore des machines dans leurs moindres parties, jusqu’à l’infini. C’est ce qui fait la différence entre la Nature et l’Art, c’est-à-dire entre l’art Divin et le nôtre (§§134, 146, 194, 403).

65[2]. Et l’Auteur de la nature a pu pratiquer cet artifice divin et infiniment merveilleux, parce que chaque portion de la matière n’est pas seulement divisible à l’infini comme les anciens ont reconnu, mais encore sous-divisée actuellement sans fin, chaque partie en parties, dont chacune

  1. Machine dans chacune de ses parties. — Chaque partie d’un vivant est un vivant. Le corps, dit la science moderne confirmant en cela les vues de Leibniz, le corps est une colonie de cellules. On pourrait ajouter qu’il est aussi, puisque ces cellules sont vivantes et peuvent être regardées comme de vraies entéléchies, une hiérarchie de consciences plus ou moins obscures, d’esprits momentanés. Partout où il y a mouvement, il y a esprit : Nihil enim movet nisi moveatur excepta mente. (Lett. à Guericke, éd. Gerhardt. I. p. 98.) La spontanéité (ou l’automatisme) est donc le privilège exclusif de l’esprit. On peut substituer au mot Dieu le mot âme, dans cette phrase curieuse : Hic admirari licet praxin Dei in œconomia rerum geometrisantis. » (Gerhardt, 3e vol., 216.) Mais il faut se souvenir que mécanique est, en effet, géométrie pour l’âme, et qu’en dernière analyse son action n’est qu’idéale.

    La différence entre la nature et l’art. — La nature agit dynamiquement, c’est-à-dire dans l’intérieur des êtres ; l’art ne peut agir que mécaniquement, c’est-à-dire à l’extérieur, puisque les monades sont impénétrables. Les paragraphes de la Théodicée auxquels Leibniz nous renvoie, développent uniformément cette idée que l’art divin est impénétrable, qu’il ne faut pas juger de son œuvre sur un fragment isolé. « Vous ne connaissez le monde que depuis trois jours, vous n’y voyez guère plus loin que votre nez, et vous y trouvez à redire. Attendez à le connaître davantage, et y considérez surtout les parties qui présentent un tout complet (comme font les corps organiques) ; et vous y trouverez un artifice et une beauté qui va au delà de l’imagination » (§191.) « Il faudrait juger des ouvrages de Dieu aussi sagement que Socrate jugea de ceux d’Heraclite en disant : ce que j’en ai entendu me plaît, je crois que le reste ne me plairait pas moins si je l’entendais. » (§116.) Aristote et Gœthe ont comparé la nature à un grand artiste.

  2. Sous-divisée actuellement sans fin. — Ces vues de Leibniz qui ont été confirmées par la science moderne lui ont été inspirées par les découvertes de