Page:Leibniz - La Monadologie, éd. Bertrand, 1886.djvu/82

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de l’étang, ne soient point plante ni poisson ; ils en contiennent pourtant encore, mais le plus souvent d’une subtilité à nous imperceptible.

69[1]. Ainsi il n’y a rien d’inculte, de stérile, de mort dans l’univers, point de Chaos, point de confusion qu’en apparence ; à peu près comme il en paraîtrait dans un étang à une distance, dans laquelle on verrait un mouvement confus et grouillement, pour ainsi dire, de poissons de l’étang, sans discerner les poissons mêmes (Préf.*** 5b, ***6).

70[2]. On voit par là que chaque corps vivant a une Entéléchie dominante qui est l’Âme dans l’animal ; mais les membres de ce corps vivant sont pleins d’autres vivants, plantes, animaux, dont chacun a encore son Entéléchie ou son âme dominante.


    On connaît assez le passage célèbre de Pascal sur les deux infinis : « Qu’un ciron lui offre, dans la petitesse de son corps, des parties incomparablement plus petites, des jambes avec des jointures, des veines dans ces jambes, du sang dans ces veines, des humeurs dans ce sang, des gouttes dans ces humeurs, des vapeurs dans ces gouttes, etc. » (Ed. Havet, t. Ier, p. 2.) On remarquera le progrès réalisé sur ce point depuis Pascal : 1° chez Pascal, qui, d’ailleurs, se place à un point de vue tout mécanique, simple divination d’une imagination puissante ; 2° chez Leibniz, guidé par les découvertes microscopiques de son temps, intuition métaphysique ; 3° chez les savants de nos jours, vérité démontrée et, pour ainsi dire, visible et palpable. Ces myriades d’êtres infinitésimaux, Pascal les devine, Leibniz les voit, et la science contemporaine les compte.

  1. Rien d’inculte, de stérile, de mort dans l’Univers. — Ce qui serait inculte et stérile, ce serait l’atome ; ce qui serait mort, ce serait le vide. « Quand j’étais jeune garçon, je donnai aussi dans le Vide et dans les Atomes ; mais la raison me ramena. L’imagination était riante. On borne là ses recherches ; on fixe la méditation comme avec un clou ; on croit avoir trouvé les premiers éléments, un non plus ultra. Nous voudrions que la Nature n’allât pas plus loin, qu’elle fût finie comme notre esprit ; mais ce n’est point connaître la grandeur et la majesté de l’auteur des choses. Le moindre corpuscule est actuellement subdivisé à l’infini, et contient un monde de nouvelles créatures, dont l’univers manquerait, si ce corpuscule était un atome, c’est-à-dire un corps tout d’une pièce, sans subdivision… Quelle raison peut-on assigner de borner la nature dans le progrès de la subdivision ? Fictions purement arbitraires et indignes de la vraie Philosophie. Les raisons qu’on allègue pour le vide, ne sont que des sophismes. » (Lettres entre Leibniz et Clarke, Erdm. 758, b.)
  2. Entéléchie ou âme dominante. — Toutefois, il ne faudrait pas interpréter Leibniz comme s’il était absolument partisan des Archées, de van Helmont. Les analogies sont profondes ; mais Leibniz ne saurait admettre l’influence réelle des archées ou principes de vie ; elle ne saurait être qu’idéale. Il condamne donc ceux qui « ont cru que ces principes de vie changent le cours du mouvement des corps », et il ajoute : « On en peut dire autant de ceux qui ont employé des Archées, ou des Principes Hylarchiques, ou d’autres principes immatériels, sous les différents noms. » (Consid. sur le Princ. de la Vie, Erdm., 429. b.) Cependant, van Helmont lui-même avait écrit : « L’archée et la matière sont deux causes qui ne peuvent agir l’une sur l’autre ; et toutes deux ensemble forment l’être concret. » Mais il admettait une matière à côté des archées, comme le prouve ce passage : « Au dernier jour, il suffira à l’auteur de la nature de reprendre les esprits séminaux répandus dans la matière, aussitôt les étoiles tomberont, et le monde actuel périra. »