Page:Leibniz - La Monadologie, éd. Bertrand, 1886.djvu/84

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tant dans la séparation de l’âme. Et ce que nous appelons Générations sont des développements et des accroissements ; comme ce que nous appelons Morts sont des Enveloppements et Diminutions.

74.[1] Les Philosophes ont été fort embarrassés sur l’origine des Formes, Entéléchies ou Âmes : mais aujourd’hui

    que deviennent les milliers d’âmes de vers à soie, qui sont brûlés dans l’incendie d’une magnanerie. Leibniz répond en citant les expériences de Leuwenhoeck, et en développant ses idées sur la génération des animaux : si génération n’est que développement, corruption ou mort peut bien n’être aussi qu’enveloppement. « Il est vrai qu’il n’est pas si aisé de le rendre croyable par des expériences particulières, comme à l’égard de la génération, mais on en voit la raison ; c’est parce que la génération avance d’une manière naturelle et peu à peu, ce qui nous donne le loisir d’observer, mais la mort mène trop en arrière per saltum, et retourne d’abord à des parties trop petites pour nous, parce qu’elle se fait ordinairement d’une manière trop violente, ce qui nous empêche de nous apercevoir du détail de cette rétrogradation ; cependant, le sommeil, qui est une image de la mort, les extases, l’ensevelissement d’un ver à soie dans sa coque, qui peut passer pour mort, la ressuscitation des mouches noyées… et celle des hirondelles qui prennent leurs quartiers d’hiver dans les roseaux, et qu’on trouve sans apparence de vie ; les expériences des hommes morts de froid, noyés ou étranglés, qu’on a fait revenir…, toutes ces choses peuvent confirmer mon sentiment, que ces états différents ne diffèrent que du plus et du moins, et si on n’a pas le moyen de pratiquer des ressuscitations en d’autres genres de morts, c’est, ou qu’on ne sait pas ce qu’il faudrait faire, ou que, quand on le saurait, nos mains, nos instruments et nos remèdes n’y peuvent arriver. » (Corres. de Leibniz et d’Arnauld, éd. Janet, p. 679.) Leibniz ajoute, pour répondre directement aux exemples cités par son adversaire : « Je crois avoir assez fait voir qu’il doit y avoir des entéléchies s’il y a des substances corporelles ; et quand on accorde ces entéléchies ou ces âmes, on en doit. reconnaître l’ingénérabilité et l’indestructibilité… La difficulté que vous trouvez à l’égard de ce bélier réduit en cendres, ne vient que de ce que je ne m’étais pas assez expliqué, car vous supposez qu’il ne reste point de corps organisé dans ces cendres, ce qui vous donne droit de dire, que ce serait une chose monstrueuse, que cette infinité d’âmes sans corps organisés, au lieu que je suppose que, naturellement, il n’y a point d’âme sans corps animé, et point de corps animé sans organes : et ni cendres ni autres masses ne me paraissent incapables de contenir des corps organisés. » (Ibid.) Le mot naturellement, dans l’avant-dernière phrase, est une concession du théologien : Leibniz ne fait pas cette réserve dans la Monadologie, et déclare qu’il n’y a pas de Génies sans corps (ou d’Anges absolument immatériels).

  1. Les philosophes ont été fort embarrassés sur l’origine des formes. — « Je viens à l’article des formes ou âmes que je tiens indivisibles et indestructibles. Je ne suis pas le premier de cette opinion. Parménide (dont Platon parle avec vénération), aussi bien que Mélite, a soutenu qu’il n’y avait point de génération, ni conception qu’en apparence : Aristote le témoigne (du Ciel, t. III, ch. ii). Et l’auteur du 1er  livre De diæta, qu’on attribue à Hippocrate, dit expressément qu’un animal ne saurait être engendré tout de nouveau, ni détruit tout à fait. Albert le Grand et Jean Bacon semblent avoir cru que les formes substantielles étaient déjà cachées dans la matière de tout temps : Fernel les fait descendre du ciel, pour ne rien dire de ceux qui les détachent de l’Âme du monde. Ils ont tous vu une partie de la vérité, mais ils ne l’ont pas développée : plusieurs ont cru la transmigration, d’autres la traduction des âmes, au lieu de s’aviser de la transmigration et transformation d’un animal déjà formé. D’autres, ne pouvant expliquer autrement l’origine des formes ont accordé qu’elles commencent par une véritable création, et au lieu que je n’admets cette création dans la suite des temps qu’à l’égard de l’âme raisonnable, et tiens que toutes les formes qui ne pensent point ont été créées avec