Page:Leibniz - Nouveaux Essais sur l’entendement humain, 1921.djvu/100

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coutume de dessiner les médailles, afin que le dessinateur s’éloigne moins des traits précis des antiques. Mais on ne saurait distinguer exactement par le dessin le dedans d’un cercle, du dedans d’une surface sphérique bornée par ce cercle, sans le secours des ombres ; le dedans de l’un et de l’autre n’ayant pas de points distingués ni de traits distinguants, quoiqu’il y ait pourtant une grande différence qui doit être marquée. C’est pourquoi M. Desargues a donné des préceptes sur la force des teintes et des ombres. Lors donc qu’une peinture nous trompe, il y a une double erreur dans nos jugements ; car premièrement nous mettons la cause pour l’effet, et croyons voir immédiatement ce qui est la cause de l’image, en quoi nous ressemblons un peu à un chien qui aboie contre un miroir. Car nous ne voyons que l’image proprement, et nous ne sommes affectés que par les rayons. Et puisque les rayons de la lumière ont besoin de temps (quelque petit qu’il soit), il est possible que l’objet soit détruit dans cet intervalle, et ne subsiste plus quand le rayon arrive à l’œil, et ce qui n’est plus ne saurait être l’objet présent de la vue. En second lieu nous nous trompons encore lorsque nous mettons en cause pour l’autre, et croyons que ce qui ne vient que d’une plate peinture est dérivé d’un corps, de sorte qu’en ce cas il y a dans nos jugements tout à la fois une métonymie et une métaphore ; car les figures mêmes de rhétorique passent en sophismes lorsqu’elles nous abusent. Cette confusion de l’effet avec la cause, ou vraie, ou prétendue, entre souvent dans nos jugements encore ailleurs. C’est ainsi que nous sentons nos corps ou ce qui les touche, et que nous remuons nos bras, par une influence physique immédiate, que nous jugeons constituer le commerce de l’âme et du corps ; au lieu que véritablement nous ne sentons et ne changeons de cette manière-là que ce qui est en nous.

Philalèthe. À cette occasion je vous proposerai un problème, que le savant Monsieur Molineux, qui emploie si utilement son beau génie à l’avancement des sciences, a communiqué à l’illustre Monsieur Locke. Voici à peu près ses termes : supposez un aveugle de naissance, qui soit présentement homme fait, auquel on ait appris à distinguer par l’attouchement un cube d’un globe du même métal, et à peu près de la même grosseur, en sorte que lorsqu’il touche