Page:Leibniz - Nouveaux Essais sur l’entendement humain, 1921.djvu/102

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joints à ce que l’attouchement lui a fourni auparavant de connaissance sensuelle. Car je ne parle pas de ce qu’il fera peut-être en effet et sur-le-champ, étant ébloui et confondu par la nouveauté ou d’ailleurs peu accoutumé à tirer des conséquences. Le fondement de mon sentiment est que dans le globe il n’y a pas de points distingués du côté du globe même, tout y étant uni et sans angles, au lieu que dans le cube il y a huit points distingués de tous les autres. S’il n’y avait pas ce moyen de discerner les figures, un aveugle ne pourrait pas apprendre les rudiments de la géométrie par l’attouchement. Cependant nous voyons que les aveugles-nés sont capables d’apprendre la géométrie, et ont même toujours quelques rudiments d’une géométrie naturelle, et que le plus souvent on apprend la géométrie par la seule vue, sans se servir de l’attouchement, comme pourrait et devrait même faire un paralytique ou une autre personne à qui l’attouchement fût presque interdit. Et il faut que ces deux géométries, celle de l’aveugle et celle du paralytique, se rencontrent et s’accordent et même reviennent aux mêmes idées, quoiqu’il n’y ait point d’images communes. Ce qui fait encore voir combien il faut distinguer les images des idées exactes, qui consistent dans les définitions. Effectivement ce serait quelque chose de fort curieux et même d’instructif de bien examiner les idées d’un aveugle-né, d’entendre les descriptions qu’il fait des figures. Car il peut y arriver, et il peut même entendre la doctrine optique, en tant qu’elle est dépendante des idées distinctes et mathématiques, quoiqu’il ne puisse pas parvenir à concevoir ce qu’il y a de clair-confus, c’est-à-dire l’image de la lumière et des couleurs. C’est pourquoi un certain aveugle-né, après avoir écouté des leçons d’optique, qu’il paraissait comprendre assez, répondit à quelqu’un qui lui demandait ce qu’il croyait de la lumière qu’il s’imaginait que ce devait être quelque chose agréable comme le sucre. Il serait de même fort important d’examiner les idées qu’un homme né sourd et muet peut avoir des choses non figurées, dont nous avons ordinairement la description en paroles, et qu’il doit avoir d’une manière tout à fait différente, quoiqu’elle puisse être équivalente à la nôtre, comme l’écriture des Chinois fait un effet équivalent à celui de notre alphabet, quoiqu’elle en soit infiniment différente et pourrait paraître inventée par un sourd. J’attends par la faveur d’un grand prince [la relation], d’un né sourd et muet à Paris, dont les oreilles sont enfin parvenues jusqu’à faire leur fonction, qu’il a maintenant appris la langue française (car c’est de la cour de France qu’on le mandait il