Page:Leibniz - Nouveaux Essais sur l’entendement humain, 1921.djvu/18

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et l’autre y joint mes observations, le parallèle sera plus au gré du lecteur que des remarques toutes sèches dont la lecture aurait été interrompue à tout moment par la nécessité de recourir à son livre pour entendre le mien. Il sera pourtant bon de conférer encore quelquefois nos écrits et de ne juger de ses sentiments que par son propre ouvrage, quoique j’en aie conservé ordinairement les expressions. Il est vrai que la sujétion que donne le discours d’autrui dont on doit suivre le fil, en faisant des remarques, a fait que je n’ai pu songer à attraper les agréments dont le dialogue est susceptible : mais j’espère que la matière réparera le défaut de la façon.

Nos différends sont sur des sujets de quelque importance. Il s’agit de savoir si l’âme en elle-même est vide entièrement comme des tablettes, où l’on n’a encore rien écrit (tabula rasa) suivant Aristote et l’auteur de l’Essai, et si tout ce qui y est tracé vient uniquement des sens et de l’expérience, ou si l’âme contient originairement les principes de plusieurs notions et doctrines que les objets externes réveillent seulement dans les occasions, comme je le crois avec Platon et même avec l’Ecole et avec tous ceux qui prennent dans cette signification le passage de saint Paul (Rom. 2, 15) où il marque que la loi de Dieu est écrite dans les cœurs. Les Stoïciens appelaient ces principes Prolepses, c’est-à-dire des assomptions fondamentales, ou ce qu’on prend pour accordé par avance. Les mathématiciens les appellent Notions communes (κοινὰς έννοίας). Les philosophes modernes leur donnent d’autres beaux noms, et Jules Scaliger particulièrement les nommait Semina aeternitatis, item zopyra, comme voulant dire des feux vivants, des traits lumineux, cachés au-dedans de nous, mais que la rencontre des sens fait paraître comme les étincelles que le choc fait sortir du fusil. Et ce n’est pas sans raison qu’on croit que ces éclats marquent quelque chose de divin et d’éternel qui paraît surtout dans les vérités nécessaires. D’où il naît une autre question, savoir si toutes les vérités dépendent de l’expérience, c’est-à-dire de l’induction et des exemples, ou s’il y en a qui ont encore un autre fondement. Car si quelques événements se peuvent prévoir avant toute épreuve qu’on en ait faite, il est manifeste que nous y contribuons quelque chose de