Page:Leibniz - Nouveaux Essais sur l’entendement humain, 1921.djvu/195

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rait malgré la suspension de l’exercice de la raison, comme je l’ai expliqué ci-dessus; ainsi c'est là le point dont on ne saurait juger par les apparences. Quant au second cas, rien n'empêche qu’il y ait des animaux raisonnables d’une espèce différente de la nôtre, comme ces habitants du royaume poétique des oiseaux dans le soleil, où un perroquet, venu de ce monde après sa mort, sauva la vie au voyageur qui lui avait fait du bien ici-bas. Cependant s’il arrivait, comme il arrive dans le pays des fées ou de ma mère l’oie, qu’un perroquet fût quelque fille de roi transformée et se fît connaître pour telle en parlant, sans doute le père et la mère le caresseraient comme leur fille, qu’ils croiraient avoir quoique cachée sous cette forme étrangère. Je ne m'opposerais pourtant point à celui qui dirait que, dans l’âne d’or, il est demeuré tant le soi ou l’individu, à cause du même esprit immatériel, que Lucius ou la personne, à cause de l’aperception de ce moi, mais que ce n'est plus un homme; comme en effet il semble qu’il faut ajouter quelque chose de la figure et constitution du corps à la définition de l’homme, lorsqu’on dit qu’il est un animal raisonnable, autrement les génies, selon moi, seraient aussi des hommes.

§ 9. Philalèthe. Le mot de personne emporte un être pensant et intelligent, capable de raison et de réflexion, qui se peut considérer soi-même comme le même, comme une même chose, qui pense en différents temps et en différents lieux; ce qu’il fait uniquement par le sentiment qu’il a de ses propres actions. Et cette connaissance accompagne toujours nos sensations et nos perceptions présentes, quand elles sont assez distinguées, comme j’ai remarqué plus d’une fois ci-dessus, et c'est par là que chacun est à lui-même ce qu’il appelle soi-même. On ne considère pas, dans cette rencontre, si le même soi est continué dans la même substance ou dans diverses substances; car puisque la conscience (consciousness ou consciosité) accompagne toujours la pensée, et que c'est là ce qui fait que chacun est ce qu’il nomme soi-même et par où il se distingue de toute autre chose pensante; c'est aussi en cela seul que consiste l’identité personnelle ou ce qui fait qu’un être raisonnable est toujours le même; et aussi loin que cette conscience peut s’étendre sur les actions ou sur les pensées déjà passées, aussi loin s’étend l’identité de cette personne, et le soi est présentement le même qu’il était alors.

Théophile. Je suis aussi de cette opinion, que la consciosité ou le sentiment du moi prouve une identité morale