Page:Leibniz - Nouveaux Essais sur l’entendement humain, 1921.djvu/197

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me soit arrivé) l’apparence serait fausse; mais il y a des cas où l’on peut être moralement certain de la vérité sur le rapport d’autrui : et auprès de Dieu dont la liaison de société avec nous fait le point principal de la moralité, l’erreur ne saurait avoir lieu. Pour ce qui est du soi, il sera bon de le distinguer de l’apparence du soi et de la consciosité. Le soi fait l’identité réelle et physique, et l’apparence du soi, accompagnée de la vérité, y joint l’identité personnelle. Ainsi ne voulant point dire que l’identité personnelle ne s’étend pas plus loin que le souvenir, je dirais encore moins que le soi ou l’identité physique en dépend. l’identité réelle et personnelle se prouve le plus certainement qu’il se peut en matière de fait par la réflexion présente et immédiate; elle se prouve suffisamment pour l’ordinaire par notre souvenir d’intervalle ou par le témoignage conspirant des autres. Mais si Dieu changeait extraordinairement l’identité réelle, la personnelle demeurerait, pourvu que l’homme conservât les apparences d’identité, tant les internes (c'est-à-dire de la conscience) que les externes, comme celles qui consistent dans ce qui paraît aux autres. Ainsi la conscience n'est pas le seul moyen de constituer l’identité personnelle, et le rapport d’autrui ou même d’autres marques y peuvent suppléer. Mais il y a de la difficulté, s’il se trouve contradiction entre ces diverses apparences. La conscience se peut taire comme dans l’oubli; mais si elle disait bien clairement des choses qui fussent contraires aux autres apparences, on serait embarrassé dans la décision et comme suspendu quelquefois entre deux possibilités, celle de l’erreur de notre souvenir et celle de quelque déception dans les apparences externes.

§ 11. Philalèthe. On dira que les membres du corps de chaque homme sont une partie de lui-même, et qu’ainsi, le corps étant dans un flux perpétuel, l’homme ne saurait demeurer le même.

Théophile. j’aimerais mieux de dire que le moi et le lui sont sans parties, parce qu’on dit, et avec raison, qu’il se conserve réellement la même substance ou le même moi physique. Mais on ne peut point dire, à parler selon l’exacte vérité des choses, que le même tout se conserve lorsqu’une partie se perd. Or ce qui a des parties corporelles ne peut point manquer d’en perdre à tout moment.

§ 13. Philalèthe. La conscience qu’on a de ses actions passées ne pourrait point être transférée d’une substance pensante à l’autre, et il serait certain que la même substance demeure, parce que nous nous sentons les mêmes, si cette conscience était une seule et même action indivi-