Page:Leibniz - Nouveaux Essais sur l’entendement humain, 1921.djvu/243

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représentés par les idées ; et les choses, aussi bien que les idées, dans l’un et l’autre cas sont marquées par les mots ; ainsi je n’y vois guère de différence, sinon que les idées des choses substantielles et des qualités sensibles sont plus fixes. Au reste il arrive quelquefois que nos idées et pensées sont la matière de nos discours et font la chose même qu’on veut signifier, et les notions réflexives entrent plus qu’on ne croit dans celles des choses. On parle même quelquefois des mots matériellement, sans que dans cet endroit-là précisément on puisse substituer à la place du mot la signification, ou le rapport aux idées ou aux choses ; ce qui arrive non seulement lorsqu’on parle en grammairien, mais encore quand on parle en dictionnariste, en donnant l’explication du nom.


§ 1. Philalèthe. Quoiqu’il n’existe que des choses particulières, la plus grande partie des mots ne laisse point d’être des termes généraux, parce qu’il est impossible, § 2, que chaque chose particulière puisse avoir un nom particulier et distinct, outre qu’il faudrait une mémoire prodigieuse pour cela, au prix de laquelle celle de certains généraux, qui pouvaient nommer tous leurs soldats par leur nom, ne serait rien. La chose irait même à l’infini, si chaque bête, chaque plante, et même chaque feuille de plante, chaque graine, enfin chaque grain de sable qu’on pourrait avoir besoin de nommer, devait avoir son nom. Et comment nommer les parties des choses sensiblement uniformes, comme de l’eau, du fer, § 3, outre que ces noms particuliers seraient inutiles, la fin principale du langage étant d’exciter dans l’esprit de celui qui m’écoute une idée semblable à la mienne ? Ainsi la similitude suffit, qui est marquée par les termes généraux. g 4. Et les mots particuliers seuls ne serviraient point à étendre nos connaissances, ni à faire juger de l’avenir par le passé, ou d’un individu par un autre. § 5. Cependant comme l’on a souvent besoin de faire mention de certains individus, particulièrement de notre espèce, l’on se sert de noms propres ; qu’on donne aussi aux pays, villes, montagnes et autres distinctions de lieu. Et les maquignons donnent des noms propres jusqu’à leurs chevaux, aussi bien qu’Alexandre à son Bucé-