Page:Leibniz - Nouveaux Essais sur l’entendement humain, 1921.djvu/245

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appellatifs ou des termes généraux, vous conviendrez sans doute, Monsieur, que les mots deviennent généraux lorsqu’ils sont signes d’idées générales, et les idées deviennent générales lorsque par abstraction on en sépare le temps, le lieu, ou telle autre circonstance, qui peut les déterminer à telle ou telle existence particulière.

Théophile. Je ne disconviens point de cet usage des abstractions, mais c’est plutôt en montant des espèces aux genres que des individus aux espèces. Car (quelque paradoxe que cela paraisse) il est impossible à nous d’avoir la connaissance des individus et de trouver le moyen de déterminer exactement l’individualité d’aucune chose, à moins que de la garder elle-même ; car toutes les circonstances peuvent revenir ; les plus petites différences nous sont insensibles ; le lieu ou le temps, bien loin de déterminer d’euxmêmes, ont besoin eux-mêmes d’être déterminés par les choses qu’ils contiennent. Ce qu’il y a de plus considérable en cela est que l’individualité enveloppe l’infini, et il n’y a que celui qui est capable de le comprendre qui puisse avoir la connaissance du principe d’individuation d’une telle ou telle chose ; ce qui vient de l’influence (à l’entendre sainement) de toutes les choses de l’univers les unes sur les autres. Il est vrai qu’il n’en serait point ainsi s’il y avait des atomes de Démocrite ; mais aussi il n’y aurait point alors de différence entre deux individus différents de la même figure et de la même grandeur.

§ 7. Philalèthe. Il est pourtant tout visible que les idées que les enfants se font des personnes avec qui ils conversent (pour nous arrêter à cet exemple) sont semblables aux personnes mêmes, et ne sont que particulières. Les idées qu’ils ont de leur nourrice et de leur mère sont fort bien tracées dans leur esprit, et les noms de nourrice ou de maman dont se servent les enfants se rapportent uniquement à ces personnes. Quand après cela le temps leur a fait observer qu’il y a plusieurs autres êtres qui ressemblent à leur père ou à leur mère, ils forment une idée, à laquelle ils trouvent que tous ces êtres particuliers participent également, et ils lui donnent comme les autres le nom d’homme. g 8. Ils acquièrent par la même voie des noms et des notions plus générales ; par exemple la nouvelle idée de l’animal ne se fait point par aucune addition, mais seulement en ôtant la figure ou les propriétés particulières de l’homme, et en retenant un corps accompagné de vie, de sentiment et de motion spontanée.