Page:Leibniz - Nouveaux Essais sur l’entendement humain, 1921.djvu/25

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

pourtant souvent notre désir et même notre plaisir, en lui donnant comme un sel qui pique. Ce sont aussi les parties insensibles de nos perceptions sensibles qui font qu’il y a un rapport entre les perceptions des couleurs, des chaleurs et autres qualités sensibles et entre les mouvements dans les corps qui y répondent, au lieu que les Cartésiens, avec notre auteur, tout pénétrant qu’il est, conçoivent les perceptions que nous avons de ces qualités comme arbitraires, c’est-à-dire comme si Dieu les avait données à l’âme suivant son bon plaisir sans avoir égard à aucun rapport essentiel entre les perceptions et leurs objets : sentiment qui me surprend et qui me paraît peu digne de la sagesse de l’auteur des choses, qui ne fait rien sans harmonie et sans raison.

En un mot les perceptions insensibles sont d’un aussi grand usage dans la pneumatique que les corpuscules insensibles le sont dans la physique, et il est également déraisonnable de rejeter les uns et les autres sous prétexte qu’elles sont hors de la portée de nos sens. Rien ne se fait tout d’un coup, et c’est une de mes grandes maximes et des plus vérifiées que la nature ne fait jamais des sauts : ce que j’appelais la loi de la continuité, lorsque j’en parlais autrefois dans les Nouvelles de la République des lettres, et l’usage de cette loi est très considérable dans la physique. Elle porte qu’on passe toujours du petit au grand et à rebours par le médiocre, dans les degrés comme dans les parties, et que jamais un mouvement ne naît immédiatement du repos ni ne s’y réduit que par un mouvement plus petit, comme on n’achève jamais de parcourir aucune ligne ou longueur avant que d’avoir achevé une ligne plus petite. Quoique jusqu’ici ceux qui ont donné les lois du mouvement n’aient point observé cette loi, croyant qu’un corps peut recevoir en un moment un mouvement contraire au précédent. Et tout cela fait bien juger que les perceptions remarquables viennent par degrés de celles qui sont trop petites pour être remarquées. En juger autrement, c’est peu connaître l’immense subtilité des choses qui enveloppe toujours et partout un infini actuel.

J’ai aussi remarqué qu’en vertu des variations insensibles, deux choses individuelles ne sauraient être parfaitement semblables, et qu’elles doivent toujours différer plus que numero, ce qui détruit les tablettes vides de l’âme,