Page:Leibniz - Nouveaux Essais sur l’entendement humain, 1921.djvu/254

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

statue, et un homme qui n’aurait jamais vu l’arc-en-ciel pourrait comprendre ce que c’est, pourvu qu’il ait vu les couleurs qui le composent. 5 15. Cependant quoique les idées simples soient inexplicables, elles ne laissent pas d’être les moins douteuses. Car l’expérience fait plus que la définition.

Théophile. Il y a pourtant quelque difficulté sur les idées qui ne sont simples qu’à notre égard. Par exemple, il serait difficile de marquer précisément les bornes du bleu et du vert, et en général de discerner les couleurs fort approchantes, au lieu que nous pouvons avoir des notions précises des termes dont on se sert en arithmétique et en géométrie.

§ 16. Philalèthe. Les idées simples ont encore cela de particulier qu’elles ont très peu de subordination dans ce que les logiciens appellent ligne prédicamentale, depuis la dernière espèce jusqu’au genre suprême. C’est que la dernière espèce n’étant qu’une seule idée simple, on n’en peut rien retrancher ; par exemple, on ne peut rien retrancher des idées du blanc et du rouge pour retenir la commune apparence, où elles conviennent ; c’est pour cela qu’on les comprend avec le jaune et autres sous le genre ou le nom de couleur. Et quand on veut former un terme encore plus général, qui comprenne aussi les sons, les goûts et les qualités tactiles, on se sert du terme général de qualité dans le sens qu’on lui donne ordinairement pour distinguer ces qualités de l’étendue, du nombre, du mouvement, du plaisir et de la douleur, qui agissent sur l’esprit et y introduisent leurs idées par plus d’un sens.

Théophile. J’ai encore quelque chose à dire sur cette remarque. J’espère qu’ici et ailleurs vous me ferez la justice, Monsieur, de croire que ce n’est point par un esprit de contradiction, et que la matière le semble demander. Ce n’est pas un avantage que les idées des qualités sensibles ont si peu de subordination, et sont capables de si peu de sous-divisions ; car cela ne vient que de ce que nous les connaissons peu. Cependant, cela même que toutes les couleurs ont commun, d’être vues par les yeux, de passer toutes par des corps par où passe l’apparence de quelques-uns entre eux, et d’être renvoyées des surfaces polies des corps qui ne les laissent point passer, font connaître qu’on peut retrancher quelque chose des idées que nous en avons. On peut même diviser les couleurs avec grande raison en extrêmes (dont l’un est positif, savoir le blanc, et l’autre privatif, savoir le noir) et en moyens, qu’on appelle encore couleurs dans un sens plus particulier, et qui naissent de la lumière par la réfraction ; qu’on peut encore sous-diviser en celles du côté convexe et celles du côté concave du rayon rompu. Et