Page:Leibniz - Nouveaux Essais sur l’entendement humain, 1921.djvu/257

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

qu’ils ne lui aient point donné de nom, et ne l’aient point daigné de leur attention. Pourquoi donc se borner aux noms quand il s’agit des idées mêmes, et pourquoi s’attacher à la dignité des idées des modes mixtes, quand il s’agit de ces idées en général ?

§ 8. Philalèthe. Les hommes formant arbitrairement diverses espèces de modes mixtes, cela fait qu’on trouve des mots dans une langue auxquels il n’y a aucun dans une autre langue qui leur réponde. Il n’y a point de mot dans d’autres langues qui réponde au mot versura usité parmi les Romains, ni à celui de corban dont se servaient lesluifs ". On rend hardiment dans les mots latins h o r a, p e s et libra par ceux d’heure, de pied et de livre ; mais les idées du Romain étaient fort différentes des nôtres.

Théophile. Je vois que bien des choses que nous avons discutées quand il s’agissait des idées mêmes et de leurs espèces reviennent maintenant à la faveur des noms de ces idées. La remarque est bonne quant aux noms et quant aux coutumes des hommes, mais elle ne change rien dans les sciences et dans la nature des choses ; il est vrai que celui qui écrirait une grammaire Universelle ferait bien de passer de l’essence des langues à leur existence et de comparer les grammaires de plusieurs langues : de même qu’un auteur qui voudrait écrire une jurisprudence universelle tirée de la raison ferait bien d’y joindre des parallèles des lois et coutumes des peuples, ce qui servirait non seulement dans la pratique, mais encore dans la contemplation et donnerait occasion à l’auteur même de s’aviser de plusieurs considérations qui sans cela lui seraient échappées. Cependant, dans la science même, séparée de son histoire ou existence, il n’importe point si les peuples se sont conformés ou non à ce que la raison ordonne.

§ 9. Philalèthe. La signification douteuse du mot espèce fait que certaines gens sont choqués d’entendre dire que les espèces des modes mixtes sont formées par l’entendement. Mais je laisse à penser qui c’est qui fixe les limites de chaque sorte ou espèce, car ces deux mots me sont tout à fait synonymes.

Théophile. C’est la nature des choses qui fixe ordinairement ces limites des espèces, par exemple de l’homme et de la bête, de l’estoc et de la taille. J’avoue cependant qu’il y a des notions où il y a véritablement de l’arbitraire ; par exemple lorsqu’il s’agit de déterminer un pied, car, la ligne droite étant uniforme et indéfinie, la nature n’y marque point de limites. Il y a aussi des essences vagues et imparfaites où l’opinion entre, comme