Page:Leibniz - Nouveaux Essais sur l’entendement humain, 1921.djvu/27

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différence est toujours plus que numérique. Il y a encore un autre point de conséquence, où je suis obligé de m’éloigner non seulement des sentiments de notre auteur, mais aussi de ceux de la plupart des modernes, c’est que je crois avec la plupart des anciens que tous les génies, toutes les âmes, toutes les substances simples créées sont toujours jointes à un corps, et qu’il n’y a jamais des âmes qui en soient entièrement séparées. J’en ai des raisons a priori, mais on trouvera encore qu’il y a cela d’avantageux dans ce dogme qu’il résout toutes les difficultés philosophiques sur l’état des âmes, sur leur conservation perpétuelle, sur leur immortalité et sur leur opération. La différence d’un de leur état à l’autre, n’étant jamais ou n’ayant jamais été que du plus au moins sensible, du plus parfait au moins parfait, ou à rebours, ce qui rend leur état passé ou à venir aussi explicable que celui d’à présent. On sent assez, en faisant tant soit peu de réflexion, que cela est raisonnable et qu’un saut d’un état à un autre infiniment différent ne saurait être naturel. Je m’étonne qu’en quittant la nature sans sujet, les écoles aient voulu s’enfoncer exprès dans des difficultés très grandes et fournir matière aux triomphes apparents des esprits forts, dont toutes les raisons tombent tout d’un coup par cette explication des choses, où il n’y a pas plus de difficulté à concevoir la conservation des âmes (ou plutôt, selon moi, de l’animal) que celle qu’il y a dans le changement de la chenille en papillon, et dans la conservation de la pensée dans le sommeil, auquel Jésus-Christ a divinement bien comparé la mort. Aussi ai-je déjà dit qu’aucun sommeil ne saurait durer toujours, et il durera moins ou presque point du tout aux âmes raisonnables, qui sont toujours destinées à conserver le personnage qui leur a été donné dans la cité de Dieu, et par conséquent la souvenance : et cela pour être mieux susceptibles des récompenses et des châtiments. Et j’ajoute encore qu’en général aucun dérangement des organes visibles n’est capable de porter les choses à une entière confusion dans l’animal ou de détruire tous les organes et de priver l’âme de tout son corps organique et des restes ineffaçables de toutes les traces précédentes. Mais la facilité qu’on a eue de quitter l’ancienne doctrine des corps subtils joints aux anges (qu’on confondait avec la corporalité des anges mêmes) et l’introduction des prétendues intelligences séparées dans les créatures (à quoi celles qui font rouler les cieux d’Aristote ont contribué beaucoup) et enfin l’opinion mal entendue, où l’on a été, qu’on ne pouvait conserver les âmes des bêtes sans tomber dans la métempsycose