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Page:Leibniz - Nouveaux Essais sur l’entendement humain, 1921.djvu/323

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ainsi des premières vérités de fait. Car non seulement il m’est clair immédiatement que je pense, mais il m’est tout aussi clair que j’ai des pensées différentes, que tantôt je pense à A, et que tantôt je pense à B, etc. Ainsi le principe cartésien est bon, mais il n’est pas le seul de son espèce. On voit par là que toutes les vérités primitives de raison ou de fait ont cela de commun, qu’on ne saurait les prouver par quelque chose de plus certain.

§ 1. PHILALÈTHE. Je suis bien aise, monsieur que vous poussiez plus loin ce que je n’avais fait que toucher sur les connaissances intuitives. Or, la connaissance démonstrative n’est qu’un enchaînement des connaissances intuitives dans toutes les connexions des idées médiates. Car souvent l’esprit ne peut joindre, comparer ou appliquer immédiatement les idées l’une à l’autre, ce qui l’oblige de se servir d’autres idées moyennes (une ou plusieurs) pour découvrir la convenance ou disconvenance qu’on cherche ; et c’est ce qu’on appelle raisonner : comme en démontrant que les trois angles d’un triangle sont égaux à deux droits, on trouve quelques autres angles qu’on voit égaux, tant aux trois angles du triangle qu’à deux droits. § 3. Ces idées qu’on fait intervenir se nomment preuves ; et la disposition de l’esprit à les trouver, c’est la sagacité. § 4. Et même quand elles sont trouvées, ce n’est pas sans peine et sans attention, ni par une seule vue passagère, qu’on peut acquérir cette connaissance ; car il se faut engager dans une progression d’idée faites peu à peu et par degrés. § 5. Et il y a du doute avant la démonstration. § 6. Elle est moins claire que l’intuitive, comme l’image réfléchie par plusieurs miroirs de l’un à l’autre, s’affaiblit de plus en plus à chaque réflexion, et n’est plus d’abord si reconnaissable surtout à des yeux faibles. Il en est de même d’une connaissance produite par une longue suite de preuves. § 7. Et quoique chaque pas que la raison fait en démontrant, soit une connaissance intuitive ou de simple vue, néanmoins, comme dans cette longue suite de preuves, la mémoire ne conserve pas si exactement cette liaison d’idées, les hommes prennent souvent des faussetés pour des démonstrations.

THÉOPHILE. Outre la sagacité naturelle ou acquise par l’exercice, il y a un art de trouver les idées moyennes (le medium), et cet art est l’analyse. Or, il est bon de considérer ici qu’il s’agit tantôt de trouver la vérité ou la fausseté d’une proposition donnée, ce qui n’est autre chose que de répondre à la question An ? c’est-à-dire si cela est ou n’est pas ? Tantôt il s’agit de répondre à une question plus difficile (caeteris paribus) : où l’on demande,