Page:Leibniz - Nouveaux Essais sur l’entendement humain, 1921.djvu/439

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quelque mode, bon à la vérité, mais moins usité ordinairement. Mais un logicien qui voudrait qu’on ne se servît point de tels tissus ou ne voudrait point s’en servir lui-même, prétendant qu’on doit toujours réduire tous les arguments composés aux syllogismes simples dont ils dépendent en effet, serait, suivant ce que je vous ai déjà dit, comme un homme qui voudrait obliger les marchands dont il achète quelque chose de lui compter les nombres un à un, comme on compte aux doigts ou comme l’on compte les heures de l’horloge de la ville ; ce qui marquerait sa stupidité, s’il ne pouvait compter autrement, et s’il ne pouvait trouver qu’au bout des doigts que 5 et 3 font 8 ; ou bien cela marquerait un caprice s’il savait ces abrégés et ne voulait point s’en servir ou permettre qu’on s’en servît. Il serait aussi comme un homme qui ne voudrait point qu’on employât les axiomes et les théorèmes déjà démontrés, prétendant qu’on doit toujours réduire tout raisonnement aux premiers principes, où se voit la liaison immédiate des idées dont en effet ces théorèmes moyens dépendent. Après avoir expliqué l’usage des formes logiques de la manière que je crois qu’on le doit prendre, je viens à vos considérations, et je ne vois point comment vous voulez, monsieur, que le syllogisme ne serve qu’à voir la connexion des preuves dans un seul exemple. De dire que l’esprit voit toujours facilement les conséquences, c’est ce qui ne se trouvera pas, car on en voit quelquefois (au moins dans les raisonnements d’autrui) où l’on a lieu de douter d’abord tant qu’on n’en voit pas la démonstration. Ordinairement on se sert des exemples pour justifier les conséquences, mais cela n’est pas toujours assez sûr, quoiqu’il y ait un art de choisir des exemples qui ne se trouveraient point vrais si la conséquence n’était bonne. Je ne crois pas qu’il fût permis, dans les écoles bien gouvernées, de nier sans aucune honte les convenances manifestes des idées, et il ne me paraît pas qu’on emploie le syllogisme à les montrer ; au moins ce n’est pas son unique et principal usage. On trouvera plus souvent qu’on ne pense (en examinant les paralogismes des auteurs) qu’ils ont péché contre les règles de la logique, et j’ai moi-même expérimenté quelquefois, en disputant même par écrit avec des personnes de bonne foi, qu’on n’a commencé à s’entendre que lorsqu’on a argumenté en forme pour débrouiller un chaos de raisonnements. Il serait ridicule sans doute de vouloir argumentera la scolastique dans des délibérations, à cause des prolixités importunes et embarrassantes de cette forme de raisonnement et parce que c’est comme compter aux