Page:Leibniz - Nouveaux Essais sur l’entendement humain, 1921.djvu/78

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en un mot les pures puissances de l’Ecole, ne sont aussi que des fictions, que la nature ne connaît point, et qu’on n’obtient qu’en faisant des abstractions. Car où trouvera-t-on jamais dans le monde une faculté qui se renferme dans la seule puissance sans exercer acte ? il y a toujours une disposition particulière à l’action et à une action plutôt qu’à l’autre. Et outre la disposition il y a une tendance à l’action, dont même il y a toujours une infinité à la fois dans chaque sujet : et ces tendances ne sont jamais sans quelque effet. L’expérience est nécessaire, je l’avoue, afin que l’âme soit déterminée à telles ou telles pensées, et afin qu’elle prenne garde aux idées qui sont en nous ; mais le moyen que l’expérience et les sens puissent donner des idées ? L’âme a-t-elle des fenêtres, ressemble-t-elle à des tablettes ? est-elle comme de la cire ? Il est visible que tous ceux qui pensent ainsi de l’âme la rendent corporelle dans le fond. On m’opposera cet axiome reçu parmi les philosophes, que rien n’est dans l’âme qui ne vienne des sens. Mais il faut excepter l’âme même et ses affections. Nihil est in intellectu, quod non fuerit in sensu, excipe : nisi ipse intellectus. Or l’âme renferme l’être, la substance, l’un, le même, la cause, la perception, le raisonnement, et quantité d’autres notions, que les sens ne sauraient donner. Cela s’accorde assez avec votre auteur de l’Essai, qui cherche la source d’une bonne partie des idées dans la réflexion de l’esprit sur sa propre nature.

Philalèthe. J’espère donc que vous accorderez à cet habile auteur que toutes les idées viennent par sensation ou par réflexion, c’està-dire des observations que nous faisons ou sur les objets extérieurs et sensibles ou sur les opérations intérieures de notre âme.

Théophile. Pour éviter une contestation sur laquelle nous ne nous sommes arrêtés que trop, je vous déclare par avance, Monsieur, que lorsque vous direz que les idées nous viennent de l’une ou l’autre de ces causes, je l’entends de leur perception actuelle, car je crois avoir montré qu’elles sont en nous avant qu’on s’en aperçoit en tant qu’elles ont quelque chose de distinct.

§ 9. Philalèthe. Après cela voyons quand on doit dire que l’âme commence d’avoir de la perception et de penser actuellement aux idées. Je sais bien qu’il y a une opinion qui pose que l’âme pense toujours, et que la pensée actuelle est aussi inséparable de l’âme que l’extension actuelle est inséparable du corps. § 10. Mais je ne saurais concevoir qu’il soit plus nécessaire à l’âme de penser toujours qu’aux corps d’être toujours en mouvement, la perception